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« Lâché opérationnel »

Valérie André

...16 mars 1952.

 Jour mémorable en vérité! Le poste de Bàt Nao signale deux blessés graves. Seule à bord, je dois aller chercher ces deux Vietnamiens. Le GATac fait savoir qu'une patrouille de chasse assurera la protection. Santini et Bartier me prodiguent les derniers conseils tandis que je prépare mon voyage sur la carte.

Les mécaniciens eux aussi sont aux petits soins.

Prenant les commandes, après avoir accompli scrupuleusement tous les rites, je contacte la tour. Une jeep fonce vers l'appareil, un officier en saute. Il fait des grands signes, montre du doigt un gros sac. J'emporterai la solde de la garnison du poste. La somme est coquette.

La carte dépliée à côté de moi, je décolle enfin. Il s'agit de tomber exactement sur le point et je suis sûre d'y parvenir. La partie sud du Delta m'est encore inconnue mais, sur la carte, elle paraît sans obstacle. Aucune erreur ne m'est permise. Je contacte le Gatac Nord. "Torricelli, Ventilateur appelle. Répondez." De terre, l'on me confirme que la chasse me rejoindra au-dessus de mon point de destination.

L'axe de sécurité que suivent tous les appareils doit me conduire jusqu'à Ke Sat. Le plafond n'est pas trop bas. Bartier m'a longuement décrit la cathédrale qui domine le gros bourg. Je l'aperçois, tout va bien. Je pense à mon camarade et à ses recommandations. Maintenant, je dois voler de poste en poste. Le ciel se couvre et je ne suis qu'à deux cent pieds. Cette région à l'apparence hostile m'est inconnue; je répugne à perdre de l'altitude et ne veut pas non plus m'enfoncer trop profondément dans la crasse. Bien qu'ils demeurent sourds à mes appels, les chasseurs ne doivent pas être loin. A intervalles réguliers, je consulte ma montre. Au passage au dessus du dernier poste, j'ai deux minutes de retard sur l'horaire prévu. Bat Nao ne doit plus être qu'à dix ou onze minutes de vol. "Chasse, leader, Ventilateur vous appelle. Me recevez-vous? Répondez." Toujours pas de réponse. Sans doute en raison des mauvaises conditions atmosphériques, les chasseurs ont-ils regagné leur terrain?

Ce que je cherche m'apparaît. Les panneaux sont en place, le fumigène indique la direction du vent, un pavillon flotte en haut d'un mât. Docile, l'hélicoptère vire, descend vers le damier que forment des briques peintes à la chaux et encastrées dans le sol. Tout doucement, je pose l'appareil puis vérifie le blocage du pas collectif et, sans couper le moteur, je mets pied à terre.

A une cinquantaine de mètres, j'aperçois un groupe de soldats et les deux brancards. Une femme! L'ébahissement est peint sur tous les visages. Et accoutrée! Mon chapeau de brousse, mes lunettes, ma combinaison de vol, crème tous les huit jours lorsqu'elle revient du blanchissage, sont l'objet de tous les regards. Ils osent enfin approcher; trop même à mon gré! Je suis obligée d'intervenir: les pales tournent toujours et le voisinage du rotor de queue peut être néfaste. A l'apparition du sac qui m'a été confié, les visages s'éclairent. La solde! Mais que vont-ils en faire dans un endroit aussi déshérité? Enfin, puisqu'ils ont l'air content...

J'ôte les couvercles des paniers et fais signe aux brancardiers d'approcher en baissant la tête à cause des pales. Les blessés sont installés l'un après l'autre et je referme moi-même les couvercles. A ma montre, comme prévu, l'opération a duré cinq minutes. Parfait! Je suis déjà installée aux commandes quand le chef de poste, un grand barbu, me demande si je veux bien emporter quelques lettres: un paquet attaché avec de la grosse ficelle et qui contient au moins cinq kilos de courrier m'est aussitôt tendu. Tout le monde sourit. Si le courrier nous est parachuté toutes les semaines, m'explique le barbu, par contre, il y a plus d'un mois que nous n'avons rien pu expédier. Un coup d'œil aux blessés, heureux, semble-t-il, de gagner l'hôpital, un signe de la main à tous mes spectateurs qui me saluent gentiment et j'oublie tout ce qui n'est pas l'hélicoptère. Un décollage en charge exige une attention précise. J'accroche mes tours au maximum, tire doucement le pas collectif et pousse le manche de pas cyclique vers l'avant.

L'appareil s'élève, prend de la vitesse et docilement vire à la lisière des arbres, puis la franchit:                                                       "Le départ est réussi. En route pour Hanoï!"

Les Vietnamiens ne doivent pas être très lourds; cependant je ne cherche pas à gagner de l'altitude, le plafond est trop bas. La cathédrale, la route, Gia Lam m'apparaissent tour à tour. Je prends du champ pour réussir une belle approche que la tour de contrôle vient de me permettre, et je me pose. L'équipe au grand complet, m'attend devant le hangar.

Santini était le seul à me faire confiance, les autres me croyaient perdue.

Après avoir effectué deux passages sur le poste de Bat Nao, la patrouille de chasse venait de décréter que j'étais introuvable. A bien y réfléchir, les chasseurs, à moins qu'ils ne se soient trompés de poste, ont dû survoler Bat Nao une première fois quelques minutes avant mon atterrissage et revenir sur les lieux après mon départ de la D.Z.. Nous en discutons et Santini est de mon avis.

Quoi qu'il en soit, lui dis-je non sans une immense satisfaction, la preuve est faite, mes blessés sont là!

Extrait de l'ouvrage "ICI VENTILATEUR" Valérie André

 


 

« Le temple bouddhiste » Jean Massière

H-19 n° 968 / GH2 / P Adj Dubrulle (ALAT)

H-34 n° 93 JH / Pirate / 23 ème EH / escadron lourd 3/23

P Ltt Mercier (AA)

Base Aérienne Secondaire 143 Batna

Coup de téléphone à l'infirmerie. C'est mon tour d' évasan. Nous sommes toujours en alerte à 3mn pour être rapidement sur le parking, prêts à embarquer, sans savoir où nous allons! Je m'habille: combinaison PN, bottes PN avec mes deux chargeurs dans les bottes (chargeurs de MAT 49, calibre 9mm), munitions pour mon pistolet MAC 50 et, éventuellement, pour une MAT 49 qui est dans le râtelier de l'hélico. je prends un sac à l'infirmerie avec le nécessaire à perfusions, les cocktails lytiques, Dolosal, Phénergan, Largactil ou Hydergine, "sirettes" de morphine et pansements multiples, le tout "piqué" dans le vrac de l'armoire à pharmacie,  car il ne fallait pas toucher aux lots déjà constitués.  En cas d'inspection ces lots devaient être conformes à la liste complète!...

Ce petit sac, est bien pratique car il permet de courir facilement...

Je suis prêt et file vers l'appareil dont le rotor tourne déjà et le nombre de tours augmente quand le pilote me voit courir...                  Je suis en retard, jette le sac dans le cargo, monte rapidement, agrippé par le mécano, et me voici... à plat ventre! L'hélico est déjà sorti du périmètre de sécurité et roule sur la piste. C'est parti!

Je me relève, la porte du cargo est toujours ouverte. On voit un autre équipage courir, armé, pistolets en holster... puis plus rien. Nous sommes au-dessus des montagnes, juste après Batna. Par routine, je demande au mécano la destination, histoire de détendre l'atmosphère, ce jour c'est: "RX 26". Je ne suis pas plus avancé, ne sachant pas, au fond, où nous allons et ce qui nous attend.

Déjà le H-19 réduit sa vitesse, se pose dans une zone dégagée derrière une petite élévation de terre. Je saute, silence, personne? C'est toujours pareil! Je m'avance au-dessus du talus et vois à gauche des buissons, couchés derrière, des soldats. Voici ma destination! Je cours dans cette direction, les soldats du 1er RHP sont en position de tir, fusils lance-grenades pointés vers le ciel.

Le blessé est là, les yeux hagards, il me regarde, pas un mot, un peu de sang au niveau du cou. Je comprends pourquoi il ne parle pas: une balle lui a traversé le larynx de part en part. Respiration stertoreuse, regard interrogatif, je ne peux rien faire si ce n'est le transporter à l'hôpital de Batna et je demande de l'aide pour le porter car il ne peut pas se lever. Personne ne veut m'aider! On me fait comprendre qu'ils sont "en opération" et qu'il leur est impossible de quitter cette position (je saisirai le pourquoi plus tard...). Me voilà donc reparti vers l'hélico, au pas de course, pour aller chercher un brancard et l'aide du mécano. Celui-ci se fait un peu tirer l'oreille mais me suit bientôt en courant avec le brancard plié. Me voilà donc en train de refaire le trajet pour la troisième fois! De retour auprès du blessé, les paras semblent interloqués de nous revoir? (une fois encore je comprendrai plus tard...).

Le mécano, très coopératif, m'aide à charger le blessé, Je demande à nouveau à deux paras de nous aider car à quatre c'est plus facile. Devant le mutisme complet des hommes, le mécano se met devant, moi derrière et nous voilà partis vers le H-19. Nous sortons du talus en courant par un beau soleil, dans un paysage magnifique de collines boisées. Découvrant qu'il est difficile de courir porteur d'un brancard, je cherche à synchroniser ma course sur celle du mécano mais trouve qu'il va vite et je me concentre, ayant peur de tomber. Je suis fatigué, rythmant ma respiration pour tenir le coup, j'ai l'impression de participer à une compétition sportive.

Tout d'un coup je suis tiré de mes pensées par des bruits bizarres me donnant l'impression d'être entré "dans un temple bouddhiste", étant entouré de bruits de gongs harmonieux et variés, plus ou moins longs et forts... Ils sont de plus en plus nombreux et je pense avoir des hallucinations auditives. C'est sûrement le manque d'oxygène, n'ayant pas l'habitude de courir, surtout en altitude? Je ne trouve que cette explication...

Je me retourne. En effet des claquements secs semblent se mêler à cette musique, pas désagréable, au contraire, et je pense que les paras doivent tirer et lancer des grenades pour nous couvrir.

Des bruits plus sourds, plus lointains, semblent se préciser.

J'ai encore la vision des paras, visage contre terre et ne bougeant pas. Nous courons toujours, tête basse pour voir où poser les pieds de peur de trébucher. Je redresse la tête et regarde le mécano qui semble lever les pieds plus haut à chaque pas. J'ai compris! Des touffes de terre crépitent autour de nous. Bon sang! On nous tire dessus. Je ne vois rien que ces fumées de terre bien alignées en demi cercle à notre gauche. Tantôt le demi cercle s'éloigne, tantôt il se rapproche. J'ai l'impression que nous tressautons comme des pantins, que nous n'avançons plus, que ces petits sauts sont dérisoires bien malgré nous.

Les tirs sont maintenant très forts, réguliers et pourtant plus éloignés. Plus de gongs bouddhistes! Parfois des bruits sourds. Quatre ou cinq. Je ne sais plus. Nous courons. Les pales de l'hélico tournent derrière le talus. Le rotor accélère. Nous arrivons. Nous voici "jetés" tous les trois dans l'appareil qui décolle à quinze minutes environ de Batna, minutes qui me paraissent très courtes... Nous nous posons déjà. Sur le parking l'ambulance attend. Transfert de blessé. Je me tourne et prends mon sac avant de descendre. C'est fini! Pour ce matin... Mais la main du mécano se pose lourdement sur mon épaule, me tire en arrière. Il vient d'apprendre par l'interphone qu'il y a un autre accrochage dans le coin...

Nous voici de nouveau au-dessus de Batna.

Plus tard je sus que "j'avais été volontaire" pour cette deuxième mission. C'était mon baptême du feu!

Je viens de terminer la première mission de la journée et commence à réaliser que l'on s'est fait tirer dessus. Pas question de peur mais une interrogation plus ou moins consciente:

"La mort était-elle là par cette belle journée?"

Le côté animal de mon corps l'avait ressentie bien avant que mon cerveau ait analysé la nouvelle situation dans laquelle je commençais à plonger.

Nouvelle mission; même scénario... Ou presque! L'endroit est plus montagneux et l'hélico se pose sur une petite zone plate parmi les rochers. Je distingue au fond d'un ravin étroit cinq paras et un blessé allongé sur le sol. C'est ma destination. Pâleur livide, blessé grave touché au ventre! Il faut faire vite. J'ai apporté le brancard et demande de l'aide pour le transport de ce blessé. Toujours la même réponse, plus précise cette fois-ci: "Il y a cinq "fells" dans le coin. On ne peut pas lâcher la piste". J'explique la gravité de la situation. D'évidence il faut faire vite. Tout le monde est d'accord. Je vais devant pour préparer la perfusion. Ils amènent le blessé, leur copain, avec beaucoup d'attention, d'une façon presque touchante mais personne ne le remarque et ce n'est pas le moment de s'attendrir. Me voici donc parti avec un peu d'avance, seul dans le maquis. Je cours et instinctivement je pense à tout à l'heure mais ce coup là je suis averti: il y a cinq "fells" dans le coin.

Alors ma course se fait sinueuse, contournant les arbustes et cherchant à troubler un tir éventuel. Me voilà en train d'engager une balle dans la chambre de mon P.A. et courant l'arme à la main. Serais-je ridicule? Je pense que les "fells" rigolent, étant dans la ligne de mire de cinq fusils; je suis foutu si derrière ce buisson il s'en trouve un, il va falloir que je tire dessus? Et je pense: c'est le premier qui va tirer qui va gagner. Suis-je capable de tirer?

Toujours le même scénario. L'hélico attends, les pales accélèrent à ma vue.

Il ne faut pas traîner. Le mécano me regarde avec les yeux écarquillés. Je ne comprends pas pourquoi, et puis je réalise qu'il m'a vu arriver, P.A. à la main et courant comme un homme ivre. Peu importe! Je prépare la perfusion, le brancard est là, perfusion en cours. On décolle. Déjà Batna! Poser sur le parking, ambulance, transfert... Fini pour ce matin!

J'arrive à l'infirmerie, une "Fillod" au long couloir noir. La chambre est au fond à gauche; ce couloir me paraît très long et j'ai toujours cette sensation. Petite raie de lumière sous la porte. J'ouvre. La chambre? mon lit à gauche; mon champ visuel se brouille, j'ai les jambes en coton et tombe sur le lit, de dos, les bras en croix, jambes par terre. Je crois que j'ai eu très peur. Je suis flou, regarde le plafond et commence à me sentir bien. Plus rien n'existe que cette chambre et: "Je suis en vie!"!

Le capitaine arrive. Il se veut autoritaire: "Vous allez me faire le plaisir d'aller vous doucher. Vous avez l'air d'un boucher couvert de sang. Vous êtes ridicule". Il n'a jamais su combien sa voix me parut paternelle et presque affectueuse, un peu comme celle d'une mère qui gronde son enfant. Me voilà donc douché, propre. Il est environ midi, heure du repas au mess. J'ai ma cravate, les "Pataugas" sont propres; rien à voir avec les activités de ce matin.

C'est ça l'Armée de l'Air! Après les missions on se retrouve dans l'ambiance presque feutrée du mess.

A peine entré, se présente en combinaison de vol et blouson fourré, Mercier, le pilote du "Pirate" qui nous accompagnait. Mercier? Grand garçon sympathique qui traîne une jambe, séquelle de blessure par balle, atteinte de sciatique, au cours d'un héliportage. Il entre tout souriant et, avec un grand rire, déclare à l'entourage: "Je n'aurai jamais cru qu'un appelé, et en plus médecin, pouvait courir si vite!" et, toujours en riant me dit: "Je crois que tu peux m'offrir l'apéro!". Je m'exécute et devant mon air étonné il raconte.

"Nous avons décollé derrière vous avec le "Pirate" et vous filiez comme des lapins. Le P.C. Air nous avait donné comme instructions de vous accompagner pour appui-feu car ça bardait là-haut. Lorsqu'on est arrivé, on t'a vu descendre de l'hélico et partir en courant. Nous avons pensé: "Gonflé l'aspirant!". Puis le copilote m'a dit: "Peut-être qu'il n'est pas au courant. Merde! On lui tire dessus". Tu as bien fait les choses en passant trois fois devant leur nez.. Il faut avouer qu'ils étaient patients et fins limiers car ils ont attendu que vous soyez freinés par le brancard avant de tirer. Ils étaient huit, appuyés sur le bord d'un oued avec les P.M.. Heureusement pour vousn, avec des fusils c'eût été la catastrophe."

Ainsi je découvre la réalité. Les "gongs bouddhistes"? Des tirs des P.M. dont les balles s'écrasent sur les cailloux et dont les tirs devenaient de plus en plus précis. L'action du "Pirate" les a obligés à se déplacer, ils se sont couchés sur le dos pour lui tirer dessus (dessous?...) puis sont revenus pour nous aligner. La 12,7 de bâbord a tiré et fait mouche presque tout de suite, le tireur étant un des meilleurs de La Réghaïa. Les "fells" sont alors partis en courant dans l'oued. La 12,7 a recommencé. Un "fell", voyant la situation désespérée est revenu pour nous tirer dessus. Mercier me précise: "Celui-là t'en voulait particulièrement!". Le "Pirate" a fait un virage, il devait être très bas. Le tireur a changé de côté, venant au visuel tribord, a pris le canon de 20mm et terminé l'action d'un obus de 20 dans la poitrine. Le dernier"fell" s'est volatilisé projeté à plus de 50 m.

Je suis abasourdi par le récit plus riche de détails. Je l'avais "échappé belle"! L'après-midi Mercier m'a présenté au tireur. Un jeune blond, les yeux rieurs.

A l'époque ce n'était là que du "maintien de l'ordre". Pour l'appelé, c'était "autre chose"...

 


 

« RX 43 »

Jean Massière

H-34 n° 103 DN / Cargo / 23ème EH / escadron lourd 3/23

PCA Ltt Gilbert Guizol (AA)

Ce premier avril 1961,

arrivée à la tombée de la nuit vers 18 h...

Une unité de parachutistes de la légion, le 2ème R.E.P., est en vue; l'hélico se pose derrière une levée de terrain qui protège la zone. Derrière cette petite colline, plusieurs sections de légionnaires, bérets verts enfoncés jusqu'aux oreilles, se regroupent. Devant nous une vallée avec une couverture de forêts sur chaque versant. Des bruits sourds dans le lointain? Un B26 bombarde le versant droit. Un légionnaire vient vers nous en courant: "Il faut s'éloigner de la crête, elle est balayée par le tir croisé de deux mitrailleuses fells." Les blessés sont derrière le replis du terrain et toute tentative pour aller les chercher s'est soldée par des blessés en plus.

 Nous rejoignons l'hélico en attente.

Deux sections de légionnaires reçoivent des ordres d'un adjudant, puis en petite foulée se séparent et vont vers la forêt sur la droite. Impressionnant ce départ au combat!... Bientôt ils disparaissent dans la forêt.

Au loin quelques tirs sporadiques d'une arme automatique lourde, puis à nouveau le silence de la forêt. La nuit est tombée. Les blessés arrivent. Examen rapide pour sélectionner les plus touchés... Mise en place des perfusions, des pansements...

Les rotors accélèrent, c'est le retour rapide vers l'hôpital de Batna.

Pendant le trajet, un légionnaire blessé me dit: "J'ai gardé l'espoir, car la légion n'abandonne jamais ses morts"

 


 

Mort d'une

Infirmière Pilote Secouriste de l'Air

Norbert Huby

 

Le 29 novembre 1957, à l’EHL 1/58, partie de l’EH 3 de Boufarik une évacuation sanitaire se déclenche en fin de matinée. Dix blessés à aller chercher en MY45.01 soit sur les tous premiers contreforts de l’Atlas, plein sud d’Alger. Sans autres informations et si près d’Alger, nous pensons « encore un camion qui est tombé dans un ravin ».

 

Benoît de Coignac                            Norbert Huby                                                    

Nous embarquons donc tranquillement sans nos gilets pare-balles dans le H.34 N° 354. le sergent Benoît de Coignac en 1° pilote, moi-même le sergent Norbert Huby  2° pilote, le sergent Aubry mécanicien, le lieutenant médecin Blanchet et une convoyeuse de l'Air Jacqueline Domergue dite Jaïc.

 

Jaqueline Domergue Lt Médecin Blanchet

Le vol pour se rendre sur place a été très court et une fois de plus les informations données avant le départ n’étaient pas bonnes et insuffisantes car au lieu d’un camion tombé dans le ravin nous arrivons en plein accrochage et les blessés étaient des blessés par balles.

Habitués à ce genre de situation, nous nous posons quand même, mais compte tenu de l’escarpement du lieu, sans pouvoir bénéficier d’un repli de terrain, donc en pleine lumière sur une petite ligne de crête en regrettant d’avoir laissé les gilets pare-balles à la base.

Bien entendu nous gardons le rotor tournant et avertissons le cargo de faire vite. Les premiers blessés sont embarqués rapidement et là comme au cinéma, nous avons vu face à nous sur le petit sentier de la ligne de crête un alignement des petits geysers de poussière levés par les impacts d’une arme automatique. Il était temps de s’échapper. Le sergent Benoît de Coignac alors aux commandes a arraché le H.34 du sol et nous a mis hors de portée avec bien entendu l’intention de revenir lorsque les conditions seraient meilleures.

Avec le H.34, en se penchant et en regardant sous le siège, nous avions la possibilité de voir dans le cargo. Et là j’ai vu un corps allongé en combinaison donc un membre de notre équipage. Le sergent Aubry nous a alors averti que la convoyeuse avait été touchée. Nous n’étions guère qu’à une dizaine de minutes d’Alger donc à pleine vitesse nous avons mis le cap vers la DZ Marcel Cerdan, l’héliport de l’hôpital Maillot.

Nous n’avions pourtant pris que deux balles, malheureusement, la convoyeuse Jaïc Domergue avait été touchée en pleine tête et est décédée au cours du vol.

Jaïc Domergue avait 33ans, pilote, infirmière, parachutiste, deux séjours en Indochine dans le corps des IPSA, Port Saïd, l'Algérie. Elle passait ses permissions à réussir des records, championne de France féminine de saut en parachute, grande spécialiste des figures.

Chevalier de la Légion d'Honneur, titulaire de la Croix de Guerre des T.O.E. (Indochine) et de la Croix de la Valeur Militaire.

 

Voir aussi : http;//domergue.jean.free.fr/genesite/jaic.html

 

 


 

                  Paroles d'Evangiles

Sabine d'Ornant

Sabine d'Ornant et Buob

Demande d'évacuation sanitaire à 7 heures du matin, sur un piton.

- Bien sûr, un froid de gueux -  A l'arrivée on nous dit que le blessé ne serait là que dans une heure et gelés nous nous engouffrons dans une cabane de berger. Là nous dérangeons visiblement un caporal en train de lire; notre Mécano, un ch'ti surnommé "Capparguette", lui demande ce qu'il lit...

_  Que veux-tu qu'intéresse un apprenti curé en ce Vendredi Saint? La Passion selon Saint Matthieu bien sûr!

_ Lis tout haut!

Bien que furieux il s'exécute...

Rentrés à bord de l'hélico, notre Mécano s'assied à côté de moi.

_ Vous y croyez, Miss, à l'histoire du bon larron?

Sur ma réponse affirmative - Abîme de réflexion...

Une demi heure plus tard nous nous posons sur le lieu d'un violent accrochage. Une vingtaine de gars au tapis; il faut trier ceux à évacuer d'urgence, ceux à panser de suite...

Notre Mécano m'accroche:

_ Venez vite, Miss, il y a un type de 20 ans qui va mourir et il a vachement peur.

_ Il a votre âge, dites-lui ce que vous voudriez qu'on vous dise.

Dix minutes après il revient vers moi:

_ Et bien je lui ai dit que si on mourait le Vendredi Saint, on allait au Paradis tout droit ...

Et s'il se réveillait demain, pas mort... Y'serait drôlement déçu le gars.

 

 


 

   Pâques à Boufarik

Sabine d'Ornant

Une énorme opération en cours, commandée par le général de Maison-Rouge amènera la mort d'Amirouche.

Si nous avions cette année là un printemps de rêve, les nuits étaient encore très fraîches, en dessous de 0° en altitude. La nuit, pas question de dormir plus d'une heure. Évasan à 21 heures, couchée à 23 heures, réveil vers minuit par la 2CV de l'infirmerie, re-belotte à 4 heures du matin et cela pendant une dizaine de jours.

C'est par une nuit particulièrement froide que le H-34 se posa au milieu des légionnaires sacrément allumés. Un tri rapide pour emmener les plus urgents. Parmi eux, un commandant de la Légion, adoré de tous. Ses hommes l'entouraient, les larmes aux yeux: "Vous le sauverez n'est-ce pas?"

Je n'étais pas là pour le sauver, mais j'avais une demi heure jusqu'à l'hôpital Maillot, à Alger, pour l'empêcher de mourir et surtout, en le déconnectant, lui permettre d'affronter immédiatement l'opération qui le sauverait peut-être. Il était complètement raide, peut-être à cause du froid terrible; la tension était imprenable, mais il me parût sentir un pouls. Une déconnection. Peut-être, je ne m'en souviens plus, ais-je pu installer une perfusion de sérum glucosé? Mais toujours est-il que, sincèrement, j'eus bien peur de confier un cadavre à l'ambulance. Ce fut l'opinion de l'infirmier qui voulu me le refuser, prétendant (à juste titre) que jamais Maillot ne voudrait d'un mort.

"Vous n'êtes pas médecin, moi non plus. Nous ne sommes habilités ni l'un ni l'autre à faire un constat de décès. Laissons lui la chance qu'il a peut-être encore".

De retour à l'infirmerie, après évacuation des autres blessés, compte rendu en pleine nuit (l'horreur)   des différentes blessures et des soins accordés; après le nom de mon pauvre commandant j'ajoutais "DCD?"

Après cette nuit si reposante, je me pointe à la limite permise pour le petit déjeuner.

Là, interpellation violente du commandant de la base; un nouvel arrivé qui avait beaucoup de mal à se faire admettre: "Mes compliments, Miss, vos morts se portent bien!" Et il me jette l'Echo d'Alger, où un gros titre annonçait que le commandant avait subi, avec succès, une grave opération au cours de la nuit. Il y avait pas mal de chance qu'il s'en sorte. Moi, cette bonne nouvelle me comblait de joie. Alors?

Mon Colonel venait de recevoir un coup de fil incendiaire de son homologue légionnaire: "Nous vous avons téléphoné cette nuit, vous nous avez dit qu'il était mort et le journal...".

Nous avons toujours eu, en toutes circonstances, l'amitié indéfectible de nos médecins. Ce merveilleux créole ne me déçut pas. Il fila voir à l'infirmerie ce qui s'était passé. Réveillé en pleine nuit, le malheureux infirmier de garde ne vit pas le fameux point d'interrogation et lut DCD.

De retour au mess, il fût sublime:

_ Qu'on me passe ce Colonel de Légion qui vous fait si peur!

_ "Alors, mon colonel, ça vous ennuie vraiment que votre commandant soit encore en vie? Ce devrait être un fameux jour pour la Légion et au lieu de cela... Vous prépariez déjà ses obsèques, peut-être? Si cette jeune fille, croyant votre ami mort, l'avait abandonné à son sort, passe encore, mais elle s'est battue jusqu'au bout pour lui permettre de vivre. Vous devriez lui envoyer des fleurs".

J'attends, bien sûr, toujours les fleurs.

 Mais est-ce une coïncidence, le lendemain, au cours de rotations particulièrement difficiles, j'eus l'occasion de voir sur un brancard, le cadavre du colonel Amirouche. Ce fellagha, chef légendaire, en disparaissant portait un coup très rude à la rébellion dans la région.

Un lieutenant de la Légion, blessé au bras, décrocha une de ses étoiles de commandement et me la donna... Je l'ai toujours.

 

Sabine d'Ornant
 

 


 

           Le départ des convoyeuses

Jean-Jacques Prichonnet

Marie-Thérèse Chabanne
Bernard Voinier, Marie-Hélène Conant

 

"Un après-midi la convoyeuse lézardait au soleil, le dos d'une chaise calé contre les tôles tièdes de l'infirmerie. Elle tenait un livre à la main mais... lisait-elle les yeux au ciel?

Ils bavardèrent un moment et lui annonça, sans qu'il en eût été préalablement averti, le retrait définitif des convoyeuses. Leur supérieure avait jugé inutile de tenir encore ce poste puisque les médecins assuraient la presque totalité des évasans.

Il n'avait aucune hostilité vis-à-vis de ce corps d'infirmières navigantes, ayant le grade d'officier, mais entre eux c'était un peu la guerre, très courtoise certes. Pourtant, avec certaines d'entre elles très attachées à leur fonction, il fallait expliquer fermement son point de vue. Certaines cédaient facilement leur place, d'autres la défendaient sans souci du grade et sûres d'un droit que le passé leur octroyait. Néanmoins il ne venait jamais à l'idée de Mercier (1) ou de lui-même d'utiliser l'argument du sexe dit faible. Personne dans l'Armée de l'Air, ne doutait d'une valeur amplement prouvée. Il eût été mesquin de croire que les blessés eussent préféré un médecin à ces infirmières dynamiques et compétentes.

Les anciennes, connues à Chypre (2), avaient pour certaines d'entre-elles "fait" l'Indochine. Elles accomplissaient un devoir sous tendu par le désir de servir "Dieu et le Roy" car, souvent, leur nom s'ornait d'une particule et leur revers d'une médaille. Cependant on ne pouvait déceler chez elles aucune manifestation d'orgueil mais seulement la retenue et la simplicité qui sied à des aventurières de l'humain.

Elles vivaient comme les équipages, partageant le confort, très rustique parfois, des escales et des camps avec une aisance due à leur origine et qui ne s'apprend pas, mais d'autant plus facile à conserver qu'elles savaient le respect dont tous les entouraient."

Notes du webmestre: 1 - Lt médecin Jean Massière (voir plus haut) ; 2 - Opération de Suez

Extrait de l'ouvrage " ÉVASANS Médecin en ALGERIE 1960-1962 " de J-J Prichonnet 

 

 


 

ÉVASAN de nuit

René Sliosberg

 

Ils m’ont réveillé, sorti de mon sac de couchage. Il est 1h du matin. Je commence à émerger dans la jeep qui, avec les deux pilotes et le mécanicien, nous transporte à 800m vers la D.Z. où sont stationnés nos appareils gardés par une compagnie au repos de la 10ème DP. Il fait froid. Je m’installe avec ma grosse boîte d’urgence.

Les pilotes sont au dessus du cargo. Le mécano est sur son siège près de la porte. Le moteur est lancé dans un gros bruit très grave. L’appareil commence à vibrer. J’ai sorti mon carnet de fiches d’évacuation à remplir.

Nous décollons, ne sachant pas où nous allons. Les casques, matériel radio et gilets pare-balles sont réservés aux équipages. Le médecin n’a droit à rien ! Il faut donc se lever, aller près du mécano et hurler pour correspondre. Dehors il fait noir, j’ai froid. La machine vibre et tangue. Je crois comprendre que nous sommes en montagne.

A un moment donné j’ai l’impression que nous tournons en rond. Geste du mécano, nous sommes à la verticale du point de poser ; nous descendons. Ça dure longtemps, très longtemps. Il y a des lueurs, des points lumineux probablement des tirs d'armes à feu. Je ne suis pas à l’aise. Alors, je m’occupe ; je vérifie ma trousse d’urgence, essaie de remplir une fiche mais ça secoue trop fort. Heureux l’équipage qui lui, au moins sait ce qui se passe et s’occupe. Moi, je suis dans le noir.

Nous descendons, on se pose. Je vois le blessé. Ses copains m’expliquent en hurlant de quoi il est atteint. Pas le temps de s’éterniser. J’arrime le brancard avec le mécano, j’ai un vague papier explicatif et on décolle. Je sais que nous prenons la direction d'Alger, c’est plus loin que Bougie, mais mieux équipé compte tenu de l’état du blessé. Il a une balle dans la cuisse avec le fémur probablement fracturé. Je n’ai pas le temps d’en savoir plus car nous décollons immédiatement. Apparemment ça devait tirer très fort !

Le blessé n’est pas trop mal, son pouls correct, sa tension au pouls convenable ; je n’ai pas à toucher au pansement qui semble bien fait. De toutes les façons que faire ? Dans un appareil qui tangue et qui vibre (pas de pose de perfusion possible). Il est bien enveloppé de couvertures. Il fait froid. Il me sourit. Je surveille sans plus. Le mécano se lève, me demande comment ça va, si la blessure est grave. Il en fait part aux deux pilotes là-haut.

On vole paisiblement dans la nuit noire avec la petite veilleuse rouge de l’habitacle. Je suis assis à côté du blessé, le mécano me demande si nous ne sommes pas trop secoués. Il m'informe de l'heure d'arrivée à Alger.

Je ressens alors une étrange atmosphère, c’est devenu paisible, je me sens en phase avec l’équipage, extraordinaire cohésion, chaleur humaine. Je regarde le mécano avec ses bons yeux rassurants.

Nous nous posons sur la DZ de l’hôpital Maillot où je reconnais un copain médecin. Le blessé est débarqué ; je donne mes papiers, nous repartons et très paisiblement je somnole jusqu’à l’atterrissage sur notre DZ. C’est fini. Au sol, commentaires avec un ton plaisant avec l’équipage qui m’avoue avoir eu bien des difficultés techniques quand nous nous sommes posés dans la montagne avec une mitrailleuse ennemie très proche !

Extrait de l'ouvrage "Hélicanthropes" René Sliosberg

 

 

Les mains de la gratitude

Alain Danest

Le téléphone sonne et cela semble m'être destiné. J'ai le temps de prendre mon conteneur et nous décollons. Destination inconnue, sauf des pilotes. De la haut je vois le cadre de l'Évasan: un site en forme d'entonnoir. Les parois sont tapissées d'une végétation broussailleuse très dense; au fond, un espace herbeux caché sous des arbres. Je distingue des hommes qui semblent nous attendre. Arrivé à 2 mètres du sol je jette une civière, saute aussitôt, la ramasse et part en courant. Le coin me paraît malsain, peu propice à une villégiature prolongée. Là-bas, on me fait signe de me baisser. Je rejoins le groupe. A terre un combattant inconscient; pas de blessure apparente. Je suis au milieu d'un commando de chasse encadré par un adjudant béret vert du 1er REP. Un homme se joint à moi pour porter la civière dans le cargo. L'adjudant nous accompagne armé de son pistolet. Il me demande si nous pouvons prendre également un prisonnier. Le pilote commandant de bord donne son accord mais le prisonnier refuse de monter; il paraît terrifié; l'adjudant est obligé de lui mettre son pistolet dans le dos pour qu'il se décide. Au moment ou je m'apprête à remonter dans l'hélico, l'adjudant prend mes mains, les garde un moment dans les siennes, et me dit toute sa gratitude parce que je suis venu chercher son blessé. Je suis surpris et ému. Je comprends à ce moment ce qu'est la fraternité d'armes. Je viens d'avoir 25 ans, cet homme pourrait être mon père et il me traite comme son fils. La façon dont il s'inquiète pour son blessé me montre un chemin de fraternité que je ne m'attendais pas à trouver chez ce baroudeur de la légion.

Le blessé toujours inconscient s'agite énormément et risque de tomber sur le plancher. La seule façon de l'immobiliser est de m'asseoir sur ses jambes. J'ai du mal à prendre son pouls. Je lui fais une piqûre d'un tonicardiaque dans la cuisse à travers le tissus de son treillis et demande par radio la présence d'un médecin à l'atterrissage. Le prisonnier est calme, il suit des yeux tous mes mouvements. J'essaye de retenir une vie qu'il a contribué à détruire; nous sommes assis face à face dans un même cylindre de métal, il semble avoir le même âge que moi et porte un treillis similaire.

Cette proximité avec la mort et la vie, avec ces ressemblances qui cachent nos différences me font ressentir, une fois de plus, l'absurdité de cette Guerre. Serons-nous capables de faire la Paix?

Extrait de l'opuscule "Un chrétien dans la guerre d'Algérie" Alain Danest