PROFIL DE MEDAILLE Colonel Félix BRUNET, ou quand la passion fait d’un combattant émérite un corsaire de l’air…
Félix Edouard Marie Brunet naît le 1er janvier 1913 à Loss (Nord). Un an et demi plus tard, son père est mobilisé. Rentré "gazé" de la Première guerre mondiale, il ne peut reprendre son poste d’enseignant et décède des suites de son infirmité. Arrêtant ses études générales en classe de troisième, le jeune Félix Brunet intègre l’Institut Catholique Professionnel de Nantes où il est noté "élève studieux mais peu discipliné". L’envol. Le 4 mars 1932 – à 19 ans –, il s’engage dans l’aviation militaire au titre de la 13e Compagnie d’ouvriers aéronautiques de Bordeaux. Ses chefs le note comme un "spécialiste compétent, sérieux et travailleur, mais de caractère parfois difficile ". Il est nommé caporal en octobre, puis promu caporal-chef en février 1933. Breveté supérieur mécanicien en mai de la même année, il est affecté à la 3e Escadre de chasse et promu sergent le 16 septembre. Maintenant noté comme "très bon militaire et de très bon esprit", ses chefs le poussent à préparer les EOA ; il entre à l’Ecole de l’Air le 13 septembre 1937. Passionné par le vol, il est breveté pilote le 18 juillet 1938 (brevet n° 26 516), promu sous-lieutenant le 15 septembre, puis breveté observateur le 7 octobre. Il a alors 25 ans. Affecté à la 35e Escadre de reconnaissance, il débute la guerre au sein du Groupe 2/35 ; c’est sur Amiot 143 qu’il effectue des missions de reconnaissance et de lâcher de tracts sur l’Allemagne. En janvier 1940, il rejoint le Centre d’Essais du Matériel Aérien d’Orléans. Comme beaucoup d’aviateurs, Félix Brunet pense que le combat va être poursuivi depuis l’Afrique du Nord, pour preuve l’ordre du général Vuillemin d’y faire passer le maximum de nos forces. Hélas, ce n’est point le choix retenu et le lieutenant Brunet, nouvellement promu, se retrouve à Casablanca, les ailes coupées… Arguant de sa qualité de pilote de chasse (il n’en possède pas le certificat…), il parvient à se faire muter à l’Escadrille de Chasse n° 6 basée à Thiès (AEF), où il est noté comme cherchant "constamment à s’améliorer" (…),"ayant un caractère très droit et énergique, aimant beaucoup son métier", ce à quoi l’échelon supérieur ajoute laconiquement : "Doit réussir". Deux ans plus tard, à 29 ans, ses notes le révèlent tel qu’il est et restera : "Droit, ferme et discipliné mais de caractère susceptible, supportant mal les observations. Travaille constamment à perfectionner son instruction générale et technique. Officier ayant la ferme volonté de progresser et y réussissant grâce à un travail intense". Grand timide mais homme d’initiatives et de convictions, maintenant parfaitement conscient de sa valeur, Félix Brunet se sent apte à organiser et à commander. 15 novembre 1942. Il rejoint le fameux Groupe La Fayette que commande alors "Kostia" Rozanoff et qui sera la première unité française réarmée par les Américains avec des Bell P39 Airacobra. Il entre alors dans le monde de la guerre qu’il ne quittera plus jusqu’à son décès le 5 décembre 1959. En janvier 1943, il rejoint le sud tunisien où l’Afrika Korps et Montgomery – comme aussi von Arnim et les Américains –, s’affrontent avec paroxysme ; le 17 avril 1943, Félix Brunet reçoit sa première citation : " Pilote de chasse confirmé possédant les plus belles qualités de courage et d’adresse. Toujours volontaire pour toutes les missions, a effectué au cours de la première partie de la campagne du Groupe La Fayette vingt sorties de guerre comportant trois reconnaissances lointaines et un engagement ". Cette période d’engagements intenses est suivie par de longues missions de surveillance de la Méditerranée au profit du Coastal Command, les avions de la Luftwaffe comme les sous-marins allemands devenant fort rares… Affecté au Groupe 1/3 le 12 juin 1943, il participe à la reconquête de la Corse ; le 5 octobre suivant, il obtient sa première victoire en abattant un Arado entre Bastia et l’Île d’Elbe, bientôt suivie d’une seconde quand, à la tête de sa patrouille, il abat un Messerschmitt 323 Gigant, énorme appareil de transport hexamoteur à train à chenilles, ce qui lui vaut ses deuxième et troisième citations. Promu capitaine le 25 juin 1944, il totalise alors 1 500 heures de vol. Avec le retour sur la terre de la France continentale, c’est enfin la remontée libératrice vers l’Alsace puis la victoire sur le Reich. Nommé commandant d’escadrille en décembre 1944, il reçoit trois nouvelles citations (une à l’ordre de l’aviation de chasse et deux à l’ordre de l’armée aérienne), ce qui lui vaut d’être fait chevalier de la Légion d’Honneur. Il rejoint Friedrichshafen puis le centre d’instruction de Meknès. L’Indochine. Sachant que la 1ère Escadre de Chasse a été désignée pour combattre en Indochine, Félix Brunet parvient à s’y faire affecter obtenant le poste de chef du 3e bureau de l’escadre. C’est le 27 novembre 1945 qu’il pose son sac sur les quais de Saïgon, port d’entrée de l’Indochine française dont il va sillonner le ciel pendant huit années ! Sur ce théâtre lointain, par ses capacités hors du commun, par l’amour de son métier et celui des hommes qu’il commande, par ses exigences mais aussi et surtout par l’exemple qu’il donne en toute circonstance, il va se révéler être un véritable chef de guerre ! Participant sur Spitfire à tous les types de missions en Cochinchine, au Laos, en Annam et jusqu’au Tonkin, il y est blessé à deux reprises, en janvier 1946 lors d’un décollage de Tan Son Nhut (Saïgon) puis, un peu plus tard, lors d’un crash en retour de mission suite à une panne d’alimentation en carburant. Refusant tout rapatriement, il demande "à doubler" sur place à l’issue de son premier séjour. Promu officier de la Légion d’Honneur le 15 novembre 1946 – à 33 ans –, cette récompense ne dément pas sa notation : "Type de l’officier pilote fanatique de son métier ; bien qu’ayant fait déjà de nombreuses missions en Indochine avec la 1ère Escadre et malgré deux accidents qui lui valurent de sérieuses blessures, s’est porté volontaire pour continuer son séjour avec la 2e Escadre où il fait toujours preuve du même allant. Caractère renfermé et bourru cachant un cœur d’or et qui gagne beaucoup à être connu ; doit faire des efforts pour être plus sociable. A commandé une escadrille avec compétence. Sort de convalescence. Peut prétendre, grâce à son bon sens, à son esprit méthodique et à son expérience aérienne au commandement d’un groupe de chasse. Officier très sérieux qui remplit les conditions d’âge et de maturité d’esprit suffisantes pour passer au grade supérieur". En effet, en réponse à son désir, il rejoint la 2e Escadre de Chasse le 1er février 1947 (Nha Trang, Annam), où il prend le 16 octobre le commandement du Groupe I/4 Dauphiné qu’il va marquer de son empreinte, en particulier en faisant appuyer "au plus près" les troupes engagées au sol ce qui lui vaudra la reconnaissance unanime de ses camarades de l’armée de terre. Promu commandant le 1er juillet 1948, il est fait commandeur de la Légion d’Honneur le 5 octobre puis, après ce premier séjour de plus de trois ans, rentre en métropole en janvier 1949 pour y prendre ses congés de fin de campagne. Seulement cinq mois plus tard, il débarque à nouveau à Saïgon pour prendre le commandement du Groupement Aérien Tactique Sud (GATac Sud) nouvellement créé, lequel englobe la Cochinchine, le Cambodge et le Sud Annam. A ce poste, il va avoir à concevoir et à commander des opérations qui, à cette période de la guerre d’Indochine, s’inscrivent toutes dans un cadre combiné avec celles des troupes au sol. Ceux qui craignent l’échec compte tenu de son caractère bourru et parfois emporté en seront pour leurs frais : le général Chassin lui-même témoigne que lors de son arrivée en Extrême-Orient pour servir sous les ordres du général de Lattre de Tassigny, il n’entendit qu’éloges et compliments sur le commandant du GATac Sud, tant de la part des colonels et généraux que du "Roi Jean" lui-même. De Félix Brunet, Lionel Chassin –chef de l’armée de l’Air en Indochine – compose un portrait net et pétri de vigueur : "Bâti en force, il apparaissait massif et un peu gauche. Son large visage franc et ouvert, où la mâchoire solide disait sa volonté, était éclairé par un regard clair, inquiet, presque tendre (...). Timide, il n’osait pas s’exprimer (...) mais dès qu’il sentait qu’on lui faisait confiance, tout changeait : il devenait communicatif, voire bavard. Les seuls sujets qu’il traitait étaient des sujets militaires, faire la guerre avec le meilleur rendement possible. Il y pensait jour et nuit. Au GATac Sud, il avait su faire partager sa foi à ses officiers auxquels il demandait un service très strict, un officier digne de ce nom étant d’après lui taillable et corvéable à merci. Quand j’allais à Tan Son Nhut et que j’entrais dans son bureau (...), je le trouvais toujours en tenue de vol. Il me montrait les résultats des dernières missions et, surtout, me parlait de ses projets (...). C’est lui qui avait mis au point en Indochine les PC volants d’où, le général de l’armée de Terre et moi-même dirigeâmes de véritables opérations combinées, donnant des ordres aux chars amphibies et aux bataillons d’infanterie comme aux chasseurs et aux bombardiers. Progrès décisif qui ne fut malheureusement pas agréé par ceux qui avaient en charge l’armée de l’Air parce qu’ils préparaient une guerre mondiale…". Persuadé qu’il fallait frapper l’adversaire sur le plan économique, "Félix" (tout le monde ne l’appelle plus que par son prénom…) déclenche des opérations de destruction de barrages au Sud Annam afin de réduire à zéro les récoltes de riz, puis désigne les buffles comme objectifs afin de priver l’ennemi de cet "outil à tout faire". Là encore, il ne fut pas suivi et pourtant, à l’issue du conflit, le Vietminh reconnut qu’il dut alors contrer de sérieuses révoltes… En octobre 1951, à l’issue de son deuxième séjour, le commandant Félix Brunet totalise 3 000 heures de vol, 800 missions de guerre et 13 citations dont 11 avec palmes. Sa notation est exemplaire : "Officier d’élite, véritable corsaire de l’air à l’aspect rude, au parler fougueux, qui a du caractère, de la volonté, de la persévérance. A brillamment réussi au GATac Sud. Laisse ici le souvenir d’un grand chef de guerre". De retour en France et alors qu’il est promu lieutenant-colonel, il fait un stage de pilotage sans visibilité puis s’entraîne sur chasseur à réaction mais, dès le 2 février 1952, il est… de retour en Indochine pour son troisième séjour ! En l’attente du commandement de base promit par Chassin, Félix Brunet est affecté au GATac Nord où son caractère s’accommode mal de ce qu’il y constate… Heureusement, il reçoit assez vite le commandement de la BA 195 de Cat Bi où il va pouvoir donner toute sa mesure, parvenant à commander sans cesser ses vols au-dessus du Tonkin, d’abord parce qu’il manque de pilotes mais aussi et surtout parce que pour lui, le chef doit toujours donner l’exemple. Et les opérations s’enchaînent qui réclament l’appui de l’armée de l’Air : Nghia Lo en Haute-région, Na San sur la Route coloniale 6, La Plaine des Jarres au Laos pour ne citer que les plus importantes et enfin, à partir du 20 novembre 1953, Diên Biên Phu, située à 500 km de Cat Bi… On le sait, l’armée de l’Air exprima d’emblée les plus vives réserves sur le choix de ce site : - il fallait pour rejoindre Diên Biên Phu deux fois plus de temps que pour aller à Na San ; ainsi, à nombre de C47 Dakota inchangé – 71 au total –, elle estimait pouvoir ne transporter que la moitié du ravitaillement qu’elle avait livré sur le "hérisson" de la RC6 - surtout, elle s’était vu imposer le Grumman F8F Bearcat en remplacement du F6F Hellcat ; si ce chasseur surpuissant avait des qualités certaines – c’était entre autre une excellente plate-forme de tir –, il avait aussi de nombreux défauts dont une autonomie très faible… Le haut commandement du CEFEO resta sourd, décidant de louer des avions civils pour renforcer les moyens d’aérotransport et demandant au GATac Nord de prévoir le détachement de F8F Bearcat sur le camp retranché (dit le GONO). Resté farouchement hostile, le général Dechaux envoya Félix Brunet inspecter le site. Vieux soldat au sens tactique aiguisé, il en revint horrifié en prévoyant le pire : "Tout ça ne peut que mal finir…" La suite lui donnera raison, l’attaque viet déclenchée le 13 mars 1954, renouvelée le lendemain, ayant permis à Giap d’enlever en deux nuits les deux PA Béatrice et Gabrielle qui, au nord de la cuvette, protégeaient la piste. Placée sous les coups de l’artillerie viet qui détruisit une bonne partie des avions détachés, celle-ci ne fut plus utilisable que de nuit puis, le 28 mars, devint totalement hors service. Dès lors, la totalité du ravitaillement (renforts d’unités, munitions, vivres, produits sanguins etc.) fut assurée par des parachutages de plus en plus risqués au fur et à mesure que se multipliait le nombre de pièces de DCA viets servies par des Chinois et que se rétrécissait le périmètre de la garnison. De son côté, Félix Brunet va se battre en organisant depuis Cat Bi de véritables norias d’avions de combat : bombardiers B26 Invader et F8F Bearcat de l’armée de l’Air mais aussi les F6F Hellcat de l’Aéronavale rapidement débarqués du PA Arromanches et placés sous son contrôle opérationnel. Ce dernier point doit être souligné car il permet de tordre le cou à une calomnie fielleuse répandue après la bataille selon laquelle seuls les chasseurs de la Marine auraient été vus au-dessus du GONO (après mai et juin 40 déjà, nos aviateurs avaient été déclarés absents du ciel de France ce qui laisse à penser que les 700 appareils de la Luftwaffe abattus par notre Chasse – et qui ont cruellement manqué à Göring lors de la Bataille d’Angleterre – sont… tombés tout seul). Les choses étaient pourtant bien plus simples : chaque jour, l’ensemble des responsables d’unités et chefs de patrouilles Air et Marine prenaient connaissance des missions en participant ensemble au briefing du lieutenant-colonel Brunet ; les vols étaient ensuite effectués selon le timing prévu, les partants (au cap 270) recevant en vol les informations tactiques utiles "toutes chaudes" de la part des rentrants (au cap 90) et ainsi de suite jusqu’en fin de journée, chacun donnant le meilleur de lui-même quel que soit le ton du bleu de leur uniforme ! Ceci ne réglant pas le problème posé par l’autonomie du Bearcat, Félix Brunet joua sur deux tableaux : - en demandant aux pilotes de "contraindre" la machine en appauvrissant le mélange dès la rentrée du train jusqu’à ce que le moteur "ratatouille", puis en donnant "le petit plus" nécessaire pour qu’il tourne à peu près rond ; toutefois, au fur et à mesure que dura le siège et en même temps que se renforçait la Flak – de classe internationale disaient ceux qui avaient connu les bombardements sur l’Allemagne –, le couloir d’entrée et l’espace de manœuvre sur l’étroite cuvette s’était rétréci, obligeant les contrôleurs de Diên Biên Phu à placer les appareils en pile d’assiettes à trente kilomètres du site ce qui réduisait à rien l’économie de carburant faite sur le trajet aller et diminuait d’autant le temps d’intervention… - en détachant des pilotes et des avions sur la bande d’envol de Xien Khouang (Laos), sans aucune aide à la navigation mais plus proche de Diên Biên Phu. Lourde de contraintes (l’approvisionnement du détachement fut assuré par des rotations de C47, l’essence étant transportée en fûts de 200 litres !), cette décision permit à une partie des Bearcat de donner toute leur mesure en jouant de leur qualité première : placer les munitions dans le cœur de cible. Félix Brunet se plongea dans la bataille avec rage, presque jusqu’à l’épuisement, missionnant lui aussi dans la fournaise au commande de son Bearcat (indicatif : Ripaton 0) et ne dormant pratiquement plus entre mi avril et le 7 mai, date de la chute du GONO. Missionnant le jour comme chasseur, il volait aussi de nuit avec les transporteurs C119 Flying Boxcar ainsi que le rapporte le Lcl Fournier Montgieux, alors jeune sergent : "Il embarquait avec nous pour les largages de nuit. Nous lui laissions le siège du co-pilote et il tenait sa place avec application, sans sourciller le moins du monde lorsque les coups de 37 de la DCA viet montaient jusqu'à notre hauteur. Au retour, il nous embarquait chez lui où son épouse avait préparé un frichti réparateur. C'était un chef comme on en voit trop peu". Fatigue mais aussi émotion, des témoins du temps affirmant l’avoir vu les yeux rougis devant l’inéluctable désastre annoncé. Sans doute est-ce là aussi qu’il ressentit les premiers symptômes cardiaques qui le conduiront au terme de sa vie. Il sollicite pourtant une prolongation de séjour mais son remplaçant étant déjà arrivé, n’obtient qu’un sursis de deux mois. Il en conçoit un grand dépit comme en témoigne le général Dechaux : "Malgré ses écarts de langage et quelques manifestations d’indiscipline, je garde à Brunet toute mon estime pour sa conscience sans défaillance, son don total à l’armée de l’Air, son désintéressement, sa passion de la recherche du mieux, sa volonté d’aboutir. Ses défauts vont avec ses qualités éminentes". Ayant quant à lui renseigné la rubrique "aptitude à servir outre-mer" par la question "Il faudrait plutôt se demander s’il est apte à servir en métropole !", le général Dechaux conclut : "La passion du lieutenant-colonel Brunet pour l’action aérienne et tout ce qui y touche fait qu’il doit être considéré comme inapte à tout autre poste qu’un commandement aérien actif, c'est-à-dire, à son grade, une base aérienne active avec des avions en service". C’est avec 4 400 heures de vol dont 2 000 en missions de guerre et 18 citations dont 14 avec palmes, qu’après 7 ans et 10 mois de guerre, le lieutenant-colonel Félix Brunet quitte l’Indochine. Infatigable, pratiquement sans repos, il prend le 6 août 1954 le commandement de la base aérienne de Sidi-Ahmed (Tunisie). Trois mois plus tard, une autre guerre allait commencer en Algérie. L’Algérie. Devenu une "personnalité" marquée du sceau de baroudeur, Félix Brunet a la chance d’avoir comme commandeur l’amiral Laurin qui le comprend, l’apprécie et lui pardonne ses incartades. La chance aussi de voir sa réussite dans les premiers engagements de maintien de l’ordre – en Tunisie comme dans les Aurès algériens –, appréciée à sa juste valeur. Une fois encore, il ne fait pas de figuration puisque, lorsqu’il quitte son commandement à l’automne 1956, (il a été promu colonel de 1er septembre), il totalise plus de 5 000 heures de vol et 21 citations. Mais une fois encore, le commandement se demande que faire de cet officier supérieur hors norme, exigeant avec ses subordonnées comme il l’est avec lui-même et qu’on renonce finalement à affecter au PCA de Tlemcen par crainte que "dans ce commandement aussi restreint, le dynamisme de cet officier ne fasse explosion". Aussi est-il envoyé au Bourget du Lac pour y devenir pilote d’hélicoptères, où il retrouve son ami Santini, comme lui de la race des défricheurs puisque l’un des pionniers des voilures tournantes dans l’armée de l’Air ! C’est très à l’aise que "Félix" assimile les techniques particulières au pilotage de sa nouvelle monture tout en esquissant déjà les grandes lignes de la doctrine d’emploi qu’il est bien décidé à inventer. En effet, dans son esprit, restreindre l’emploi de l’hélicoptère aux Evasan comme c’était le cas en Indochine n’était acceptable que parce que les machines en service, légères, fragiles et sous motorisées ne permettaient pas de faire mieux mais il était persuadé d’emblée qu’affranchi de ses contraintes, l’hélicoptère pourrait devenir une machine de guerre à part entière et il voulait le prouver ! Nommé commandant de la toute nouvelle 2e Escadre d’Hélicoptères, il va d’abord utiliser l’outil comme force de manœuvre, ses Sikorski H34 comme ailleurs les H19 et Vertol n’étant là que pour délivrer des munitions aux unités engagées en combat, basculer des compagnies du versant d’un piton sur un autre, acheminer une troupe pour parfaire le bouclage d’une nasse ou poursuivre une katiba en fuite et enfin, bien sûr, évacuer des blessés. Cette doctrine d’emploi, il va la développer avec les chefs de corps des régiments parachutistes, dont son "Frère d’armes" Bigeard (pourtant, leur première rencontre, à Cat Bi, avait pourtant été "virile"…). Passant outre à l’interdiction formelle du commandement Air, il va aller plus loin et développer l’hélicoptère armé en équipant un H19 d'abord, puis un H34, d’une arme lourde montée en sabord ; l’interdiction de faire valant absence de moyens, il se procure de vieilles tubulures de chaudières pour construire le bâti support de l’arme. Mais l’affaire ne va pas sans incident, la commission d’enquête désignée pour trouver l’origine d’un incendie sur un "prototype secret" ne pouvant pas ne pas s’interroger sur la raison d’être de ce bâti en ferraille assez inhabituel sur ce type de machine… Heureusement, l’avancée de l’Aéronavale qui elle, avait les coudées franches…, et l’attente des colonels parachutistes permettront de "calmer le jeu", ce qui, au prix de quelques dizaines de jours d’arrêts, permettra à Félix Brunet de terminer officiellement son œuvre. C’est ainsi qu'une décennie plus tard, la 1st Cav US combattant au Vietnam sera la descendante directe de la cavalerie Brunet et que les Caracal et autres Tigre d’aujourd’hui sont les petits enfants de son H34 Mammouth... Pour une fois, c’est le cœur léger que le colonel Félix Brunet quitte son commandement en 1958 pour aller plancher dans cette "Ecole des Maréchaux" qu’est alors le Centre des Hautes Etudes Militaires. C’est que pour lui, le retour au pouvoir du général de Gaulle – signe de rédemption de la France après le désastre d’Indochine et les piétinements en Algérie –, doit conduire au miracle qui permettra " l’intégration" à laquelle il croit. CHEM où il réussit fort bien, n’en déplaise à ceux qui, mieux nés, se laissèrent aller à sourire en voyant ce "bas officier" s’assoir dans l’amphithéâtre de leur école d’excellence… Sans aucun doute comme l’écrit le général Chassin, "Félix" aurait-il su "porter mieux que d’autres les étoiles d’officier général". Mais le destin guette qui, déjà, a mis Félix Brunet dans sa ligne de mire… C’est pourtant avec joie que le colonel Brunet accepte le commandement du Poste de Commandement Avancé Directeur à Colomb Béchar. A 56 ans, Grand officier de la Légion d’Honneur aux 7 000 heures de vol et aux 2 957 missions de guerre, titulaire de 26 citations dont 22 à l'ordre de l'armée, il préfère monter la garde aux limites de l’Empire plutôt que servir dans un purgatoire ministériel. Mais à peine arrivé sur site, il est repris par ses crises d’angines de poitrine et écope – avec quelque indulgence… –, d’une aptitude PN temporaire de six mois. Il n’en profitera pas. Usé par tant de combats, de tensions et de sacrifices, son coeur va lâcher d’un coup ; après quatre jours d’ultime résistance, Félix Brunet s’éteint dans la foi le samedi 5 décembre 1959 à 5 heures du matin. En ce triste jour, l’armée de l’Air perdit en la personne du colonel Félix Brunet un de ses meilleurs soldats et un combattant émérite au courage indomptable, homme complet et d’un bloc, entièrement dévoué au service de son pays, homme de convictions, tenace et opiniâtre, faisant passer l’initiative et la réussite dans l’action avant toute chose, homme exigeant avec les autres comme avec lui-même mais sachant aimer ceux qui comme lui, savaient bien servir… A 26 jours de son 57e anniversaire, le "Corsaire de l’air" aura pris son dernier envol pour rejoindre la cohorte des Soldats qui auront si noblement servi l’Armée française.
Devoir de mémoire. C’est ce soldat exceptionnel, parrain de la base aérienne 217 "Colonel Félix Brunet", que le secteur ANORAA 410 avait décidé d’honorer, ce qui fut fait le samedi 24 mars 2012. En association avec l’Association Hélicoptères Air et l’ANSORAA Essonne, treize drapeaux venus de la région parisienne et de toute la Bretagne firent ce jour là une haie d’honneur derrière la tombe de "Félix" ; après la lecture du récit de son passé militaire faite par le commandant Quatrelivre (ANORAA 410 et AHA), puis le dépôt de cinq gerbes (ANSORAA, AHA, ANORAA, BA217 et mairie de Quiberon), honneur lui fut rendu par la Sonnerie aux Morts. Après la fermeture de la BA 217 le 26 juin prochain, la stèle qui depuis des années honore le Colonel Brunet au pied du mât des couleurs sera transportée à Quiberon pour être installée face au monument aux Morts de la cité morbihannaise. Commandant (rc) Jean-Pierre Simon
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