Une histoire à
mourir debout
Le 25 février 1960 fut une journée
noire pour l'Armée de l'Air... |
... mais revenons quelques mois en arrière pour
planter le décor...
En septembre 1959, jeune
sous-lieutenant, pilote de H-34 sortant de
Chambéry, je rejoignais ma première affectation
opérationnelle à la 3ème escadre d'hélicoptères à
Boufarik. Suivirent quelques vols d'accoutumance
et les formalités administratives propres à ma
nouvelle affectation. Je perçus mon paquetage
particulier pour mes nouvelles missions avec entre
autres, un duvet, et pour confirmer que la
destination n'était pas un camping, une carabine US
M1 et un pistolet MAC 50, ustensiles avec lesquels
je vécus par la suite de manière très fusionnelle.
Une dizaine de jours suivant mon
arrivée je partais en détachement et fis
connaissance avec la vie sous la tente, banalisée
par la suite par Monsieur Trigano.
Les premiers détachements pour les
jeunes arrivants se faisaient en équipages
constitués avec un premier pilote confirmé; ceux-ci
duraient environ trois semaines, entrecoupés
d'environ une semaine à la base mère, le temps de
laver son linge et de prendre quelques alertes ou
permanences opérationnelles. Les mises en place en
détachement se faisaient soit par hélicoptère lors
des relèves d'appareils, soit par Nord 2501 et
dispatching en Broussard souvent à partir de
Télergma; cette procédure comportait le
coucher la veille à Maison Blanche dans des
conditions désastreuses.
En décembre 1959, l'escadre déménage
de Boufarik à La Réghaïa
mais ceci ne modifie guère notre vie quotidienne,
sinon que la chambre dans laquelle nous venons
dormir de temps en temps n'est plus la même.
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Le 14 février 1960, je
pars en détachement à Batna; c'est un
endroit très apprécié car nous logeons sur
une vraie base aérienne avec des lits en 90
et des matelas Simmons, avec un chauffage
confortable ce qui nous change de la tente
Saga 3, des lits Picot et de l'unique poêle
à pétrole. Il en est de même pour la qualité
des repas du moins ceux du soir car souvent
le repas de midi est pris dans la nature sur
l'aire d'attente et dans ce cas il est en
général constitué de la boîte de ration
réglementaire.
Et nous voici ce 25
février 1960. Comme d'habitude le réveil a
lieu très tôt car il s'agit de débusquer
l'ennemi de préférence au lever du jour. Il
fait froid - Batna est à 1000 m
d'altitude - et nous sommes en plein hiver.
Le DIH (détachement d'intervention
hélicoptères) constitué de 6 appareils
Cargo et d'un "Pirate"
(H-34 équipé d'un canon de 20 mm et de 2
mitrailleuses de 12,7 mm) se met en place
auprès du PC de l'opération. |
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Aujourd'hui nous sommes en famille, en
effet l'opération dans le djebel Lizoures, à
proximité d'Arris, est montée par les commandos de
l'air qui sont sur le terrain depuis la veille; ils sont
commandés par le LCL Emery
qui était mon directeur des études quelques
mois auparavant à Salon et ils sont basés comme nous à La
Réghaïa, mais comme nous ce sont des SDF et on se
rencontre rarement à la base mère, d'autant que la piste
sépare nos unités. Nous procédons à deux
héliportages de commandos et très vite on apprend que la
zone recèle de nombreux fellaghas fortement armés. Dans la
matinée, un de nos appareils effectue une évacuation
sanitaire (Evasan) sur
Batna et au retour l'équipage nous apprend que dans
l'hélicoptère l'un des blessés spéciaux (c'est ainsi que
pudiquement on désigne les morts) se trouve être le
Lt
Murry; cet officier est un camarade de promotion
et sa perte me fait beaucoup de peine et me taraude des
heures durant. |
Toute la journée les accrochages
continuent et les commandos ont plusieurs blessés. L'attente
dans le froid à proximité du PC est longue et lourde. Dans
l'après midi nous effectuons un nouvel héliportage imposé
par l'évolution de la situation sur le terrain. |
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Peu avant la tombée de la nuit le PC demande
deux appareils en "Evasan". Seuls deux hélicoptères
disposent d'un poste radio HF SRC 300 en état de marche,
matériel indispensable pour assurer les liaisons radio avec
les troupes au sol. Le premier est le leader du DIH et je
fais partie du deuxième équipage, mon pilote, le sergent
Roux, ancien des H-19 est très confirmé sur
H-34 et familier des "Evasan" spécialités des H-19; le
mécanicien navigant est le sergent chef Gross
alias "Gégène" lequel, en vol, se tient dans
le cargo et s'occupe des chargements et déchargements.Un
premier poser sur un sommet qui domine la vallée où sont
retranchés les rebelles nous permet d’enlever un premier
blessé. Grâce à l’aide d’un commando,
Gégène place le brancard en position haute dans le
cargo. Petit à petit le jour s’éteint et les balles
traçantes qui sillonnent le ciel sont impressionnantes . On
se pose sur une deuxième DZ sur un sol en pente en appui
deux roues et là miracle !
Devant moi, à 20 mètres, sous son casque
lourd, la MAT 49 en protection : le Lt Murry,
« mort le matin ». Je crois rêver ou alors suis-je moi-même
encore vivant ? Il me reconnaît malgré la nuit tombante,
quoique engoncé dans mon gilet pare-balle et mon casque et
il me fait un signe de la main. On embarque un nouveau
blessé ; en fait il s’agit du corps du Sgt infirmier
Herry, tué en portant secours à un camarade blessé.
Mais il nous faut patienter car on doit
nous apporter un autre blessé et bien que nous ayons éteint
les feux de position les flammes qui sortent du pot
d’échappement sont un repère pour l’ennemi et nous
constituons une belle cible. Tout à coup un choc et un cri
de Gégéne : « on est touché ! ». Déjà
Roux a enroulé la manette de puissance et décollé la
machine. Les paramètres moteurs sont normaux ; la rafale de
fusil-mitrailleur AA52 a traversé le cargo dont le plancher
est déchiqueté par quatre sorties de balles et une autre est
passée à quelques cm de la poitrine du mécanicien ; les
réservoirs de carburant arrière sont transpercés. Le blessé
a été sauvé grâce à la position haute de son brancard.
Cela fait de la peine d’abandonner le
blessé attardé ; il sera évacué par la route et décèdera
durant son transport. Pour nous protéger les tirs amis se
font plus nourris au vu des traçantes car la mission n’est
pas terminée. Nous nous posons sur une troisième DZ et
embarquons trois autres blessés et c’est finalement avec
cinq blessés et dans la nuit noire que nous mettons le cap
sur Batna.
Sur le parking de Batna tous nos
camarades du détachement nous attendent, sombres et
inquiets. Ils savent que l’un des appareils ne rentrera pas
mais ils ignorent lequel. Nous aussi nous apprenons que
notre leader qui participait à la même "Evasan" a été abattu
et qu’il a brûlé avec son équipage et ses blessés. Le Cdt
Tardy, commandant en second la 23ème escadre, le
sergent Maubourguet, son pilote, avec qui
j’avais beaucoup volé, le sergent-chef Lefranc ,
mécanicien navigant ont perdu la vie près de Foum Toub,
dans les Aurès.
Plus tard j’apprendrais que le mort du
matin n’était pas le Lt Murry et que je
n’avais pas été victime d’hallucinations mais le
Lt Herry de la promotion précédente de l’Ecole
de l’Air, lui aussi un bon camarade avec qui j’avais fait ma
préparation au lycée de Brest. Ma joie d’avoir retrouvé un
copain en vie aura été de courte durée. Par un curieux
hasard ce sont deux homonymes, le lieutenant et le sergent
Herry dont nous aurons évacué les corps ce
jour-là. Quant au Lt Murry que j’avais quitté
précipitamment sur son piton, quelques instants après
m’avoir aperçu, il a vu un H34 s’abattre dans le fond de la
vallée et prendre feu. Ignorant que nous opérions à deux
appareils il a pensé que j’étais dans le brasier ; nous nous
sommes donc mutuellement crus morts dans la même journée.
Bien plus tard quand nous nous sommes retrouvés, bien
vivants, je crois que nous avons bu un coup à notre santé.
L’opération s’est
déroulée toute la nuit ; les commandos ont dû
décrocher et au petit matin les rebelles, profitant
de l’obscurité et de leur parfaite connaissance du
terrain s’étaient éclipsés. Le bilan côté français
était très lourd.
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Plus de 45
ans plus tard en écrivant ces lignes je réalise combien les
acteurs de ce drame étaient proches de moi et que la grande
faucheuse avait fait un tri dont j’étais bénéficiaire.
Mes deux
années sur hélicoptères m’ont laissé des bons et des mauvais
souvenirs et je réalise avec le recul du temps que j’ai eu à
assumer des responsabilités inimaginables aujourd’hui pour
un jeune lieutenant.
Par la
suite je suis souvent retourné en Algérie mais comme pilote
d’avion et j’ai pu mesurer la différence de considération
dont jouissaient les équipages du GMMTA , en particulier
dans les escales par rapport à ceux des hélicoptères. Ces
derniers n’appartenaient pas encore à cette grande famille
et j’estime qu’ils étaient souvent abandonnés à leur triste
sort malgré des chefs prestigieux sur le terrain. A l’époque
l’OTAN montait en puissance et l’Etat-major de l’Armée de
L’Air avait sans doute d’autres priorités.
Quant à mes
amis acteurs de cette mémorable aventure, je les ai perdus
de vue à l’exception de Gégène qui est fidèle
aux rassemblements de l’A.H.A. Le Lt Herry
repose en terre bretonne, le sergent Roux a
également disparu; Murry comme beaucoup de ses
camarades de combat de ce 25 février 1960 a eu des soucis
avec la justice militaire au moment de donner son
indépendance à l’Algérie car il n’a pas voulu entendre le
coup de sifflet de l’arbitre qui marquait la fin de la
partie et, probablement déçu, a rompu les liens avec l’Armée
de l’Air, peut-être que cette narration d’un épisode
tragique lui parviendra, auquel cas ce serait un grand
plaisir qu’il se manifeste. |
Récit de Pierre Kerlann A.H.A.
Photographies collections: Pierre
Kerlann, Michel Blain, Hervé Granjon,
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