7h55:...Décollage...
Cap à l'ouest... Nous passons la Rivière Noire au sud de Viêt Tri.
Nous n'avons pas le contact radio avec le Morane 500. Le sol devient
très accidenté et boisé... Ciel clair... Peu de vent au sol. Nous
voilà en peine zone contrôlée par le Vietcong. Depuis la Rivière
Noire, peu de repère au sol. Très loin sur notre droite, du haut de
nos 5000 pieds, on
aperçoit la Vallée du Fleuve Rouge. Notre passage doit déjà être
signalé. Nous avons... Ou nous aurons... une couverture de chasse...
si
cela est, elle est discrète... Silence radio et rien en vue...
8h50:...Nous
apercevons enfin devant nous, légèrement à droite, le Morane 500,
très haut, qui effectue des cercles. Cap sur lui... Plus que quelques
minutes et nous serons sous lui. Altitude sol environ 900-1200 m...
point culminant, la montagne de Poulong 2900 m.
9h00...Grandury et moi-même
commençons à chercher l'avion abattu. Environ 5 minutes plus tard,
nous le voyons sur le flanc d'un petit sommet. J'ai l'impression,
étant donné le manque de traces, qu'il a été plaqué au sol. la
zone du crash apparaît dénudée sur une trentaine de mètres dans la
pente, depuis l'appareil. Nous
amorçons un virage à gauche, en descente et à environ une centaine
de mètres, à vitesse faible, l'avion est à notre droite, il paraît
entier. Le cockpit est ouvert, je remarque le casque du pilote sur le
manche. Grandury de la place gauche, me montre le pilote couché sur
le dos, sans mouvement. Il est à la limite de la végétation, la
tête vers le bas. J'amorce le stationnaire avec l'intention de poser
les roues droites dans la pente pour permettre au mécanicien de
descendre. A cet instant nous sommes à environ 4 ou 5 mètres de
haut, quand nous sommes aveuglés par un nuage de poussière à
l'odeur de cendre. Pas question de faire du V.S.V. si près du sol, je
dégage vers la gauche en direction de la vallée. Coup de chance, je
suis parti dans la bonne direction... Dès que nous nous retrouvons
dans le clair, avec Grandury, nous essayons d'envisager une autre
méthode et nous reprenons de l'altitude. Il n'est pas possible
d'effectuer un treuillage dans ces conditions et la végétation ne
permet pas un poser dans les environs immédiats. En haut, l'équipage
du Morane 500 a vu ce qui s'était passé et il nous transmet l'ordre
de rentrer sur Son Tày, où l'opération sera vue sous un autre
angle.
10h30...Atterrissage à Son
Tày. Nous décidons avec un officier venu de Bach Maï de déposer
d'une façon ou d'une autre, deux "paras" Méos au plus près de l'avion
accidenté et de revenir faire le plein pendant que les parachutistes
iront chercher le blessé. C'est tentant, nous verrons bien...
11h00...Nous repartons, pleins
complets avec nos deux "paras", après leur avoir expliqué
qu'il faudra sauter du cargo... posés ou pas... récupérer la
civière larguée par le mécano, aller chercher le blessé et revenir
à l'endroit où nous les aurons lâchés. Ils auront environ deux
heures pour la mission.
A nouveau les 5000 pieds. Le
Morane 500 a sans doute été remplacé. Notre bon H19 n'est pas très
rapide même si on le pousse un peu. Nous arrivons enfin aux environs
du crash, rien de neuf de ce côté là. Grandury et moi nous mettons
d'accord pour une pente de colline un peu dégagée mais où il
subsiste quelques troncs d'arbres coupés à 1 m du sol et aperçus
après notre présentation et tentative manquée. Nous sommes face à
la pente et entre les troncs, je pose l'appareil en douceur sur les
roues avant... Trente secondes ont suffi... Nos deux "paras"
sont au sol avec la civière. Ils nous font signe qu'ils ont compris
et je fais demi-tour sur place sans problème... virage et cap à
l'est. Les "paras" ont environ 800 m à parcourir, mais
doivent descendre un vallon accidenté, boisé et remonter vers
l'avion. Ce ne sera pas facile au retour avec le blessé... J'ai
confiance, ces Méos ont une force et une résistance peu communes
pour leur petite taille.
13h10...Poser à Son Tày. Il y a de l'aide pour faire le plein (jerrycans). Bref
sandwich. Un capitaine médecin arrive vers moi et me dit :"Je
pars avec vous, avec mon infirmier pour donner les premiers
soins". de suite, je réponds non, en expliquant les problèmes
de poids d'une part et les conditions de puissance de la machine
ajoutés aux problèmes de la DZ d'autre part. Sur son insistance
(c'est peu dire...), je fais arrêter le remplissage des réservoirs,
je me livre à un rapide calcul, me basant sur un vol de 2h15 et
stationnaire pleine puissance pour la récupération. Donc, pour
l'enlèvement nous aurons dans le cargo : un mécanicien, le docteur,
son infirmier, le blessé, les deux paras... le tout sur une DZ avec
des arbres et une pente évaluée à 20%. j'accepte et ne fais remplir
le réservoir arrière qu'à demi. J'explique à nouveau ce que sera
la manœuvre. Nous ne pourrons que nous poser en appui sur les roues
avant, la porte du cargo sera alors à 1,50 m du sol, pas facile pour
embarquer la civière, le mécanicien restera dans le cargo pour
aider.
13h15...Nous décollons de Son
Tày, Grandury et moi nous nous regardons sans mot dire. Je lui
passe les commandes et réfléchis. Je ne suis toujours pas satisfait
d'avoir embarqué le toubib et son aide mais je le comprends. J'arrive
à la conclusion que pour limiter les risques, je ferai une rotation
supplémentaire pour récupérer les deux paras.
14h30...Nous arrivons sur les
lieux, je reprends les commandes et alerte le mécanicien dans le
cargo que ça ne va pas être facile. Dernières consignes : si trop
chargés, on débarque les paras. Même présentation que la première
fois. Les paras sont là avec le blessé sur la civière. Les roues
avant à peine posées sur le sol, le toubib et l'infirmier sautent et
courent vers le blessé. Le groupe est à une vingtaine de mètres
devant l'appareil. Tout le monde se redresse et me regarde. je
commence à m'impatienter et mes grimaces le font comprendre.
Finalement, ils se décident à venir vers le cargo (pourvu qu'ils
prennent garde au rotor, du fait de la pente il passe à 1,50 m du
sol...) et à embarquer. Les roues arrière sont à 1 m du sol, je
n'ai plus le temps de m'occuper d'eux. Au fur et à mesure qu'ils
embarquent, je suis obligé d'augmenter la puissance, de 2400 tours
moteur je passe à 2600 par précaution. En fin de chargement, les
tours sont redescendus à 2400, il reste 2" de P.A. pour partir,
je m'aperçois que je suis presque au maximum (il fait très chaud).
Maintenant que le mécanicien m'annonce :"Tous à bord", il
va falloir sortir de là doucement, si je tire trop sur le pas
collectif, c'est la chute de tours. Je soulève l'appareil et fais
demi-tour par la droite. Grandury surveille le compte tours, pourvu
que la queue ne touche pas un tronc d'arbre... je laisse partir
l'appareil dans le pente, nous prenons un peu de vitesse, le capot
moteur passe à travers quelques branches et feuillages (des bambous,
je pense). Finalement, après une centaine de mètres et 5 noeuds au
badin, nous nous élevons, ce n'est pas rapide mais c'est parti !
Virage à gauche, l'est à nouveau, je surveille la jauge d'essence,
ce sera juste. Je ne pense pas que dans le cargo ils aient réalisé
à quel point nous étions à la limite des possibilités de
l'appareil. Grandury reprend les commandes et je me décontracte un
peu. Le "bearcat" est toujours au même endroit. On passe la
Rivière Noire quarante minutes plus tard avec la lampe rouge du
carburant allumée "15 minutes". Plus que 10 minutes pour
Son Tày. Approche directe et atterrissage. je coupe le moteur, la
porte du cargo s'ouvre, nos deux paras descendent, je les salue et ils
s'éloignent. J'espère que l'on saura reconnaître leurs mérites car
ils ont dû en baver.
La porte du cargo se referme
et nous refaisons le plein du réservoir avant. Décollage, cette fois
sans problème. Un quart d'heure plus tard, atterrissage sur la DZ de
l'hôpital Lanessan d'Hanoï. Tout le monde sort du cargo. J'aperçois
brièvement le blessé qui semble bien mal en point sur le brancard.
Nous récupérons une civière pour remplacer celle qui a servi pour
le blessé. le mécanicien remonte et nous roulons quelques mètres
pour que le souffle du rotor ne gêne pas le transport du blessé vers
l'hôpital. Décollage direction Gia Lam où, mission accomplie, nous
nous posons après 7h35 de vol.
|
|