Une petite française

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 25 novembre 1959. Détachement hélicoptère d'Orléansville.

Le téléphone sonne.
Je décroche, c'est les OPS ; EVASAN en KY44A65. 2 blessés couchés.

Le sergent Alléaume est déjà sorti de la chambre et j'inscris la mission sur le cahier d'Ordres: Sgt Dumont pilote. Sgt Alléaume mécanicien .

 Alléaume a vérifié les civières extérieures, complété les pleins, je démarre la merveille du siècle l'Alouette2 n°139, sous-casque sur le crâne je me couvre de la gamelle et tout en décollant j'appelle Zozo à la tour.
- (schtroumf 36 schtroumf sanitaire , autorisation de schtroumfer la schtroumf)
-(schtroumf 36 autorisé à schtroumfer la schtroumf , pas de schtroumf dans le schtroumf)

Le mécano aux commandes, je cherche ma carte au 1/200000 et précise le cap à conserver, sur la 1/50000 je situe le point d'atterrissage dans le carré 44.


Après une trentaine de minutes de vol je pose mon appareil près d'une "Simca 8" camionnette qui semble avoir été transformée en passoire.

 Un médecin militaire me demande si je peux évacuer 2 blessés vers l'hôpital d'Orléansville, une petite fille de 7 ans et le chauffeur du véhicule. Tout en l'écoutant, nous avions ouvert nos plateaux pour en libérer les civières sur lesquelles devaient être sanglés les blessés.


Un personnage de haute stature, couvert d'une djellaba d'une blancheur immaculée sur laquelle se détachaient nombre de médailles dont la médaille militaire s'approcha de moi. Il me dit être le père de la petite blessée qui avait 7 impacts dont une balle de fusil mitrailleur dans une cuisse...


La Simca servait au transport des enfants vers l'école située au village voisin. Les glorieux rebelles s'étaient embusqués en haut d'une côte et avaient tiré à la chevrotine et à l'arme de guerre sur des enfants à bord d'une voiture qui ne dépassait pas les 30 km/h. Un garçon en est sorti sans une égratignure les autres enfants sont morts.


Le chauffeur très agité ne voulait se laisser enfermer dans le genre de cercueil qui recouvrait la civière ; son cuir chevelu labouré par 4 chevrotines saignait et il avait peur. La petite ne se plaignait pas. Son père m'offrit une bière, lui but un Perrier, puis penché sur sa fille il lui demanda d'être bien sage. Nous fermâmes les sarcophages, puis décollage, atterrissage à l'hôpital ou nos blessés furent pris en compte, retour à la base après 1h10 de vol.


Un pilote en fin de séjour s'est ajouté sur le cahier d'Ordres, il voulait la médaille du service de santé. Sur mon carnet de vol, mon nom gratté fut dans la case pilote remplacé par le sien.


Le 16 décembre journée éprouvante. Après en 3 missions avoir transporté à l'hôpital un mort, une malade puis deux blessées, avant de rentrer à la base je décide de me faire offrir un café par les infirmières.

 J'entre dans l'hôpital, m'engage dans un long couloir ; derrière moi des petits pas, une petite main prend la mienne, je me penche et elle pose un baiser sur ma joue.

Les yeux de cette petite fille, jamais je ne les oublierai.

Récit: Jean-Paul Dumont