TAAF  (suite)

Terre Adélie 
Campagne d'été 1987
Départ aéroport de Paris Orly, escale à Singapour, changement d’avion et de compagnie, nouvelle escale à Melbourne et nouvel avion pour Hobart … 36 heures de voyage pour arriver en Tasmanie.
Fin du premier mode de transport.

Port d’Hobart, le "Polar Bjorn", un brise-glace Norvégien, nous emmène plein Sud pour 5 à 6 jours minimum de mer sans escale en passant les 40èmes rugissants, les 50èmes hurlants et les 60èmes mugissants. La plupart des passagers agonisants.
L’Antarctique se mérite.

 

La Terre Adélie et la Base Dumont D’Urville se dévoilent dans un décor sobre et figé d’icebergs et de floes (*) géométriques qui tranche avec son comité d’accueil agité, bruyant et odoriférant.
C’est l’été dans l’hémisphère Sud sous le soleil de minuit et la faune aviaire se reproduit sur le moindre îlot de l’archipel de Pointe Géologie. Nous allons côtoyer jusqu’en mars, manchots adélie, skuas, pétrels géants et de Wilson, damiers du cap, fulmars, … plus quelques visiteurs, éléphants de mer, phoques, orques et baleines.

* Plaque de glace résultant de la dislocation de la banquise.                                                      

Le bateau mouille où il peut, dans le prés devant l’Île des Pétrels ou au bord d’un enrochement du Rocher du Lion; et hop!... après une première traversée, un baptême de l’air en Alouette pour la plupart des rescapés des mers du Sud.

Les passagers de cette rotation 1, campagnards d’été scientifiques et techniques, une partie des hivernants de la TA37 et le détachement "Adélicop" découvrent leur environnement de travail et de vie. Juste le temps de prendre possession de sa chambre et tous se retrouvent pris dans le tourbillon des passations de consignes par service et laboratoire et de la participation au déchargement des cales et soutes du bateau. Le temps compte, la météorologie en est l’horloge.

"Adélicop" sera souvent pris en otage, par une bonne comme par une très mauvaise météo.

Des heures de soleil sont donc des heures de rotations bateau-base et des slings variés.

Pour le ravitaillement de la Base Dumont d’Urville

la gérance postale et station radio : sacs de « courrier arrivé et départ », planches de timbres, matériel entretien radio et télex,

la station météo : bouteilles d’hélium, ballons et sondes,

la cuisine : matériel, vivres, boissons, produits frais et congelés, tout ce qu’il faut pour tenir une année et plus,

le service technique : matériel et pièces de rechange pour la plomberie, l’électricité, la menuiserie, le garage, les bâtiments …,

l’hôpital : matériel médical, médicaments,

les laboratoires scientifiques,

la coopérative base : produits d’hygiène et de toilettes, tabacs et cigarettes.

 

                              Base Dumont d'Urville

Localisation de la DZ (qui en hiver nous a aussi servi pour le pot du 14 juillet)

Identification des bâtiments :   (clic gauche sur les miniatures pour agrandir)
1   la cuisine, salle de restauration, buanderie et bibliothèque, vidéo  

2   la centrale électrique et production eau douce

L'eau douce est produite à partir de l'eau de mer pompée qui sert à refroidir les générateurs (moteurs Poyaud de la Centrale), elle est ensuite évaporée sous vide pour éviter de la remonter trop en température puis re minéralisée et stockée dehors dans 2 grosses citernes chauffées (pas d'eau froide au robinet, pour le pastis au bar des fontaines réfrigérantes). L'eau des sanitaires est de l'eau de saumure de la centrale qui cristallise régulièrement sur l'émail ; cette saumure est aussi mélangée aux eaux usées pour éviter qu'elles ne gèlent dans les tuyaux.

(De nos jours c'est un "osmoseur" qui produit l'eau douce de la base. En 1987 nous avions droit à une douche par semaine en été.)

3   les ateliers électricien et plombier

4   la réserve vivres (hors gel) et salle de sport

5   la gérance postale et la radio

6   le garage

7   la météo et laboratoire de sismologie-magnétisme, atelier mécanique de précision

8   laboratoire de biologie et laboratoire de géophysique

9   l'hôpital et dortoir hivernants, salle de bain (4 lavabos et la 2éme douche a été installé durant l'hiver pour 28)


Pour le ravitaillement de Base du Lion où résident et travaillent les équipes techniques de la future piste d’aviation, carburant et matériel maintenance pour engins de chantier.

Pour celui de Cap Prud'homme sur le continent, base de départ des raids pour le Dôme C

emplacement de la future Base Concordia

en partenariat avec l’Italie, matériel pour les Weasels (véhicules à chenilles), vivres, carburants, …

Cap Prud'homme

Gérard Revel (mécano radio) Jean-Luc Delalande (pilote) (de gauche à droite: 3 et 5)

                         Le Bourhis (mécano)   Jean-Luc Delalande (pilote)                         Amiral Jacques Guillon

Sous les vents de mer ou le souffle des catabatiques descendant du continent des heures d’attentes à patienter, à s’intégrer à la vie de la Base (pour la cuisine : corvées de petite Marie, et déneigement du Webber ce petit wagonnet suspendu à un rail) et à la moindre petite accalmie travailler un moment dehors à aménager un radier pour entreposer les fûts de kérosène.

Fin décembre, la seconde rotation du "Polar Bjorn" amène le reste des hivernants TA37 (37éme expédition antarctique française en Terre Adélie), une citerne fixée sur son pont, du fuel pour la centrale de la Base qui produit l’électricité et l’eau douce.

Le "Polar Bjorn" effectuera 4 rotations durant ces 3 mois d’été.
A chaque fois pour "Adélicop", le ballet de prise en charge des passagers arrivants et ceux repartant avec bagages, des slings concernant la logistique, puis participation à la chaîne de rangement dans les entrepôts et "fillods" du matériel apporté ; il faut faire vite, même s’il fait beau temps, il fait froid.

Didier Prades (pilote)

Christian Grevisse, Jean-Luc Delalande, chef météo 

Février, rotation 3, un mois de fêtes.
En cette année 1987, nous allons fêter à Dumont D’Urville les 40 ans des EPF (Expéditions Polaires Françaises) fondées par Paul-Émile Victor qui aura lui 80 ans. Un double anniversaire cela attire du monde même et surtout à l’autre bout de la planète si le lieu est extraordinaire.

L’Alouette va transporter comme un carrosse de parade, des visiteurs, des invités de marque, trois jeunes lauréats d’un concours organisé par un magazine scientifique, des journalistes et une équipe de télévision, … 

Paul-Émile Victor et son plus jeune fils, Jean Rivolier ancien médecin chez des Taaf et médecin du premier hivernage sur l’Île des Pétrels 1952, Claude Lorius directeur de recherche glaciologue CNRS, l’Amiral Jacques Guillon second du « Cdt Charcot » 1950, Serge Lentz grand reporter Paris-Match et son photographe, les lauréats Stéphanie Chiron, Philippe Castelani, Thomas Justin, …

                                                                    Paul-Émile Victor, Claude Lorius, Christian Grevisse, Gérard Revel

(debout cirés jaunes) Le Bourhis, Didier Prades, (??)

                                             (accroupi 1er plan ciré bleu) Christian Grevisse,   Claude Lorius (assis 1er plan ciré orange)

                                     

Fin de mission

Extrait  du n°399 d' "Air Actu" Avril 1987

<<<<      (clic sur l'image pour agrandir)

 

 

 

 

Commentaires et photographies de Christian Grevisse

La traversée avec le brise-glace "Polar Bjorn" dans les 40èmes rugissants et 50èmes hurlants, fut fatale pour l'ensemble de l'équipe...

Par miracle, je fus épargné et je n'en ai pas moins mérité mon séjour en Terre Adélie !!!! 
J'ai eu en plus l'autorisation de séjourner au poste de pilotage avec un matelot de permanence. Or, à l'époque, je fumais la pipe ; 
il me dit :"pipe is no good" je réponds : "no, pipe very good"; il insiste "no good for me"... Alors, j'ai immédiatement cessé de fumer...

A notre arrivée, après un accostage difficile causé par une glaciation encore importante, il y eut le déchargement des cales du "Polar Bjorn";

mais, pour un gain de temps et moins de frais, au lieu de faire intervenir la grue du brise-glace dans le dépôt des charges sur une barge en parallèle,

  je suis alors intervenu avec mon hélico et ai réussi à élinguer tous ces lots directement dans les cales 1er et 2e niveaux. Nous avons utilisé des élingues de 8 m et 12 m : ce qui a imposé un travail de grande précision.

Dès notre arrivée, lors de notre amarrage manuel, très bonne participation de tous, y compris les hivernants en quête de contacts humains et de courrier. Mais quelle odeur de poulailler répandue par nos amis les manchots... Échange d'entre aide entre le rangement de nourriture dans le hangar frigo et en retour, soutien et participation de tous à la fabrication d'un "radier"
(rangement de fûts de carburant avec mise en sécurité)...

Un autre travail de précision fut la mise en place d'une sorte de parabole de réception pour les nouvelles liaisons téléphoniques tant attendues pour chacun d'entre nous... Ce fut une réussite, sans casse de matériel hélitreuillé!

*****

Le "burn'out" ? non ; le "White out" ? oui...

 Alors que je revenais de mission chez les glaciologues sur le continent antarctique (dôme C) en direction de la base Dumont d'Urville, il n'y eut plus de repère visuel. 

Mon premier réflexe fut de me fier à l'horizon artificiel de l'hélico. Le seul point de repère était le plus foncé en se dirigeant vers l'océan. Sinon, tout était blanc.

 Cela se traduisait par une espèce de mouvement infini de glace, de neige accompagné de vent. J'ai pu conserver la hauteur de vol grâce à cet horizon artificiel. Cela a duré environ 10 minutes. En arrivant sur ce point plus foncé, j'ai retrouvé mes repères habituels. 

Il y eut un "ouf" de soulagement dans l'hélico...

Je garde un excellent souvenir de la présence de Claude Lorius, qui, grâce à sa conférence sur la glaciologie, nous a confortés dans notre travail d'équipe avec les "Raideurs", partant du Cap Prud'homme sur le continent afin de parer et extraire des pains de glace. Leur transport fut assuré avec plaisir par hélico.. L'étude des carottages nous explique ce qu'était notre planète il y a plusieurs milliers d'années. Conférences et travail sur le terrain, en concomitance, furent passionnants...

A l'occasion des fêtes de fin d'année 1987, nous fîmes une démonstration aérienne devant le local des repas et détente.. Mais elle fut interrompue par le choc, sans gravité, entre les pales de l'hélico et un "OVNI" qui s'est avéré être un skua, mort sur le coup;  heureusement ce n'était pas le skua mascotte des cuisiniers... Grand soupir de soulagement pour le moral de nous tous !

 Nous accueillîmes avec plaisir Paul-Émile Victor et les jeunes gagnants du concours. 

Je pus promener Paul-Émile Victor à plusieurs reprises, des souvenirs inoubliables... 

 A chaque décollage, nous avions des yeux d'enfant face aux paysages grandioses de la banquise... En final, magnifique et inoubliable séjour en Antarctique, fait de camaraderie, d'efficacité et de compétences diverses, sans oublier les 2 traversées agitées sous les 40èmes rugissants et 50èmes hurlants...

Commentaires de Jean-Luc Delalande

Photographie Collection Didier Prades