Le 22 septembre 1992 au matin, un hélicoptère "Fennec" de l'armée de l'air française décolle de Libreville, au Gabon, avec cinq personnes à bord.

Cne Laurent Egnell Pilote CdB EH 09/067 "Parisis"

Cne Frédéric Kaczmarek Copilote EH 09/067 "Parisis"

Adj  Pascal Gaudard  Mec Nav EH 09/067 "Parisis"

AdC Stéphen Maure 6ème BIMa

Cal Frédéric Foucher Infirmier 8ème RPIMa


Il s'agit d'aller larguer du ravitaillement dans la jungle et d'hélitreuiller un malade, c'est une  mission de routine.

 

Le Lcl S... vole à basse altitude au-dessus de la forêt avec son Fouga Magister.
Officier de l'Armée de l'Air à la retraite, le Lcl S... a repris du service, c'est l'un des quatre pilotes de la garde présidentielle d'Omar Bongo.

 

Un peu après 9h45, l'équipage du "Fennec" voit le Fouga sur sa droite, à sa hauteur et à une trentaine de mètres.
C'est interdit: le «vol en patrouille» doit être «prévu et ordonné», et jamais avec un hélicoptère.

Dans l'hélico, on ne s'affole pas, surtout que le Fouga remet les gaz et disparaît droit devant.
Nouvelle infraction, il aurait dû virer à droite, pour ne pas perturber le vol du "Fennec".

 

Quelques kilomètres plus loin, le Lcl S... fait un demi-tour à gauche et revient à grande vitesse vers l'hélicoptère.
«On l'a vu partir et remonter assez franchement sur la gauche, explique le copilote Cne Frédéric Kaczmarek, ça m'a semblé bizarre, quand on part, c'est sur la droite.»

A ce moment le "Fennec" tombe sur une petite couche de nuages et l'appareil descend, pour passer dessous, vers la rivière.

 

Le Lcl S... assure qu'après son demi-tour il est rentré rapidement à la base; il a signalé à un copain qu'il avait croisé un "Fennec" qui avait disparu ensuite, peut-être «qu'il s'était planté».

 Le Cne Frédéric Kaczmarek raconte, lui, que sous ces nuages il guettait l'avion de chasse.
«Je savais que les pilotes de la garde présidentielle sont très friands de ces passages près des autres avions, je n'étais pas très rassuré.
Et puis j'ai vu le Fouga piquer sur nous, j'ai vu la masse sombre de ce qui devait être le pilote.
Le Cne Laurent Egnell, qui était aux commandes, a crié: "Où est le Fouga?", puis il l'a vu, il est parti en virage, on a touché les arbres.»

Le Cne Frédéric Kaczmarek et l'Adj Pascal Gaudard, éjectés sur les racines des palétuviers, entendent une ou deux fois le Fouga repasser au-dessus d'eux.
L'hélicoptère explose. Le Cne Laurent Egnell, l'AdC Stéphen Maure sont morts, le Cal infirmier  Frédéric Foucher agonise trois quarts d'heure.

A Libreville, ne voyant pas revenir le "Fennec" l'alerte est donnée et un Puma affrété pour les recherches.

 
 

« Septembre 1992, pilote à l’EH 1/67 Pyrénées, je suis affectée pour une mission de courte durée au détachement Air sur le camps du 6ème BIMa de Libreville au Gabon.

Je suis le 3ème pilote, copilote du Cne Kasmareck de l’EH 3/76 Parisis et du Cne Egnell, chef pilote du Parisis et commandant le détachement hélico du DetAir EA 470.

Nous sommes missionnés pour effectuer des rotations de ravitaillement et des ÉVASAN au profit du BIMa en opération en jungle au nord de Lambarené depuis plusieurs jours. Il arrive que nous opérions avec le treuil quand la DZ n’est pas suffisamment large pour y poser le "Fennec". Il est également envisagé de se dérouter sur une zone dégagée en attendant que la DZ soit suffisamment élaguée par les troupes de Marine pour y revenir poser ou treuiller.

Le 22 septembre, l’ensemble du détachement hélico se retrouve au petit déjeuner pour préparer les différentes missions et pouvoir décoller dès le lever du jour.

Je dois faire la première rotation avec le Cne Kasmareck. S’ensuivront d’autres rotations avec le Cne Egnell.

La météo n’est pas bonne et le brouillard ne se lève toujours pas, je retourne alors en chambre. Je suis réveillée par le "Fennec" au décollage. Un mot glissé sur ma porte par le Cne Egnell me précise que je ferai les rotations suivantes.

1 ou 2 heures plus tard le Cne Lamouche, pilote d’hélicoptère à la Garde Présidentielle Gabonaise et ancien instructeur du CIEH arrive au Detair. Nous sommes coutumiers de sa visite car il se ravitaille régulièrement à la supérette du BIMa et est très apprécié des équipages hélicos pour son accueil et son expertise du pays.

Il me demande où se trouve le "Fennec", je lui explique notre mission du jour en jungle avec les différentes options envisageables pour mener à bien la mission. Je n’ai aucune inquiétude quant à son retard compte tenu de l’expertise de l’équipage.

Néanmoins nous prévenons le chef de la Garde Présidentielle qui contacte par radio le BIMa, lequel n’a eu, en fin de compte, aucun contact avec le "Fennec". L’attente fait place à l’inquiétude. Le Cne Lamouche me propose de l’accompagner en "Super Puma" pour lui montrer les éventuelles zones de poser de recueil que nous envisagions pour cette mission. Le "Fennec" a peut être eu une panne imposant un atterrissage immédiat.

Je suis à l’arrière du "Super Puma" et scrute avec attention toutes les zones dégagées . Le Cne Lamouche reprend au retour le tracé inverse du "Fennec" et au niveau d’un bras de l’Estuaire du Gabon, il aperçoit alors une fumerolle. Il réduit sa vitesse, effectue plusieurs passages et nous pouvons voir alors, sidérés, la carcasse déchiquetée du "Fennec" au pied d’un arbre étêté et brûlé. Les secours sont ainsi déclenchés par l’équipage du "Puma".

Je serai amenée à accompagner les enquêteurs sur le lieu du crash. La végétation y est extrêmement dense et hostile, le sol n’est que palétuviers et boue noire rendant l’accès très difficile.

Il ne reste que le plancher cabine et les moteurs disséminés sous le choc.

La marée recouvre les traces de l’accident effaçant peu à peu la terrible vision du crash.



Témoignage de Frédérique Cailleau

 

 

Ce jour-là, S... rentre au Groupement Aérien Présidentiel aux environs de 09h45 à l’issue d’un vol d’entrainement en "Fouga Magister" et vient directement me voir en me laissant entendre qu’il se serait passé quelque chose d’anormal avec l’hélico de l’armée française [le Fennec]…

A ma question : « As-tu vu quelque chose et, si oui, qu’est-ce que tu as vu ? » il me répond : « RIEN, mais lorsque j’ai fait demi-tour j’aurais dû le revoir devant moi [l’hélico], mais il n’était plus là.

Il est venu me voir car il savait que je connaissais bien les équipages hélico de l’AA de passage à Libreville à cette époque et que, sans qu’il me dise la vérité, il se doutait que j’allais peut-être faire ‘’quelque chose’’ ; ça a été le cas, mais à cause de ça un temps précieux a été perdu et un jeune Caporal de l’Armée de Terre a perdu la vie…

N’ayant pas quitté l’AA depuis longtemps je conservais de bonnes relations avec les deux pilotes que j’avais eu comme élèves au CIEH et avec lesquels j’avais travaillé (Egnell au C.I.E.H.) et fais quelques missions sympas (Kaczmareck au Mont-Blanc en 1986).

Après avoir téléphoné au DETAM ou le reste de l’équipage me dit que le "Fennec" était allé faire un dépôt de ‘’petit colis’’ et une EVASAN, j’en conclus qu’entre le 1° et le 2° passage du "Fouga", le "Fennec" s’était posé pour effectuer sa mission (la zone où S... m’a dit l’avoir perdu de vue correspondait) Pour moi, ce n’était pas la première fois qu’un pilote de chasse perdait de vue un hélico !!!

Malgré tout en fin de matinée cette affaire me trottant dans la tête, je décidais de passer au DETAM comme cela m’arrivais quelquefois à la mi-journée. Là, je trouve le 2° mécanicien assez inquiet qui me dit ne pas avoir de nouvelle de son hélico. Le Comair, contacté, demande au PC radio du camp "De Gaulle" de s’assurer que les troupes au sol ont bien vu le "Fennec" . Personne ne l’a vu. C’est à ce moment-là que les propos assez flous de S... (2h00 avant) deviennent très alarmants pour moi. La seule solution : aller voir !

Je contacte par Motorolla (réseau de la garde Présidentielle) le patron du Groupement Aérien Présidentiel –mon chef direct- en lui demandant l’autorisation d’aller faire une reconnaissance en hélico dans la zone ; autorisation accordée, je décolle vers 12h45 en "Super.Puma" en prenant à bord comme observateur la 3° pilote du Detam Frédérique Cailleau (voir témoignage précédent). Grâce au feu engendré lors du crash nous retrouvons rapidement l’épave avec aucun survivant apparent (c’est l’annonce que j’ai faite à la tour de contrôle de Libreville) .

A partir de ce moment une équipe de secours est mise en place au BIMa, qui sera amenée sur les lieux par le Puma de la Garde Présidentielle Gabonaise.

Plus tard l’équipe de sauveteurs annonce que trois personnes étaient décédées, dont le Cne Egnell, et les deux blessés devaient être évacués rapidement, surtout le Cne Kaczmareck grièvement brûlé.

C’est moi qui fais l’EVASAN de Kaczmareck et Gaudard avec le Puma de la Garde Présidentielle vers 18h00.

Il ne faut pas oublier qu’à aucun moment S... n’a dit avoir vu l’hélico se crasher et que mon intervention n’est due qu’aux bonnes relations que j’entretenais avec le Detam Hélico.

La Garde Présidentielle Gabonaise n’a jamais rechigné à mettre à disposition les moyens aériens nécessaires pour les secours. Le seul problème vient du pilote du "Fouga" qui a voulu "dire sans vraiment dire et surtout sans se mouiller"

J’ai sauvé deux vies humaines et j’aurai peut-être pu en sauver trois si j’avais tout de suite compris que S... était vraiment responsable du crash… Mais il ne me l’a pas dit…

(Les horaires mentionnés sont approximatifs mais correspondent à peu près à la réalité.)

J'ai refait le trajet du "Fennec" avec une "Gazelle" de la Garde Présidentielle, quelque temps plus tard avec le Général Norlain qui commandait la FATAC, de passage à Libreville pour une autre raison.

Témoignage de Philippe J. Lamouche

 

Inclus des extraits de compte rendu du procès devant la 16ème Chambre Correctionnelle de Paris - 1995.

 (clic gauche sur la photo pour voir les cérémonies commémoratives à Libreville en 2017)

- L' Adj Pascal Gaudard s'est à peu près bien remis de ses blessures.

 - Le Cne Frédéric Kaczmarek parle avec difficulté, déploie des efforts pénibles pour marcher, est l'objet de crises d'épilepsie.


 

... Attendu que, pour déclarer Roland S... coupable d'homicides et blessures involontaires et seul responsable des conséquences dommageables de l'accident, la cour d'appel retient que le pilote du Fouga, après avoir volé en patrouille en violation des règles de navigation aérienne, sur la droite de l'hélicoptère à bord duquel se trouvaient les victimes, a fait, à tort, un demi-tour sur la gauche, se trouvant ainsi sur la trajectoire de l'autre appareil;

qu'elle ajoute que l'arrivée en piqué de l'avion, depuis une altitude supérieure, était imprévisible pour le pilote de l'hélicoptère, qui a dû exécuter une manœuvre d'évitement jugée normale par les experts, que le prévenu a commis une faute d'imprudence en relation directe avec l'accident et qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre du pilote de l'hélicoptère ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que, dès lors, les moyens ne sauraient être admis ;

[...]

... Attendu que, pour déclarer Roland S... coupable d'omission de porter secours à personne en péril, l'arrêt attaqué retient que le prévenu est passé à basse altitude au-dessus du lieu de l'accident et qu'en raison de la fumée dégagée, il ne pouvait ignorer que l'hélicoptère était tombé et que ses occupants avaient besoin de soins urgents;

qu'il relève qu'à son retour à la base, le prévenu a évoqué l'accident de manière si vague et si hypothétique que les secours ont été organisés avec plusieurs heures de retard, et que l'une des victimes, décédée peu avant l'arrivée des sauveteurs, a ainsi perdu une chance de survie ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que Roland S..., qui avait conscience de la gravité du péril auquel se trouvaient exposés les occupants de l'appareil, s'est abstenu de provoquer les secours, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a reconnu le prévenu coupable, sans encourir les griefs allégués
 

[...]

 

Extraits des Arrêts de la Cour de Cassation - 1998.

 

Documents d'origine consultables:

 - Journal "Libération" Compte rendu du procès 18/11/1995

 - Cour de Cassation, Chambre criminelle. Audience publique du 04/03/1998

 - Faculté de Droit Virtuelle. Commentaires sur les arrêts de la Cour de Cassation

 

 

(Voir les cérémonies du trentième anniversaire à Villacoublay)